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Pour les Discrètes, Anne Lecourt avait pris trois ans pour amener ces femmes, peu habituées à parler d'elles, à livrer leurs récits de vie. Pour ce deuxième livre, et ces nouvelles femmes, l'autrice avait moins de temps devant elle.

Si elles ont été moins nombreuses et plus ramassées dans le temps, les rencontres n'en ont pas moins été denses.

Celles dont elle se fait la voix cette fois-ci ont répondu à sa demande justement pour pouvoir s'exprimer.

Ces paysannes dont elle a suivi un moment le chemin ont pense-t-elle « des choses à dire, des choses à défendre et elles savent exactement pourquoi elles sont là ».

 

 

« J'arrive toujours autour d'une table à l'heure du café. Parfois c'est pour manger parce que j'ai raté un train ou le lendemain au petit déjeuner parce que j'habite trop loin de chez elles et qu'on m'a gardée à dormir ». Quand Anne Lecourt raconte la façon dont elle a recueilli les paroles de ces Paysannes, on entend tout ce qu'elle ne dit pas : la confiance établie, les regards échangés, les confidences murmurées.

Elle dit faire « beaucoup confiance à l'intuition » ; elle ne dit pas la grande disponibilité dont elle a fait preuve pour nouer aussi rapidement ces liens « comme on se raconterait l'histoire de la famille ». Avec Thérèse, Catherine, Annie et les autres, elle a marché à pas lents sur des chemins de terre et elle a trait les vaches. Avec Nathalie, Samantha, Fabienne et les autres, elle a parlé élevage et maraîchage mais aussi « parcours individuels ».

Elles ont entre 26 et 74 ans, certaines ont repris une activité familiale  - « je suis fille de et c'est une fierté » dit Florence - , d'autres ont suivi un homme aimé - « longtemps, j'ai été la femme de et il m'a fallu faire mes preuves » dit Laurence - d'autres encore ont choisi l'agriculture ou ont été choisies par elle ; « on a mis des générations à sortir de là, et toi tu pars dans l'agriculture ! » s'est étonné le grand-père de Flora.

C'est un livre où dit-elle « il y a de quoi rire, de quoi pleurer, de quoi se mettre en colère. Il y a la fierté, la volonté de défendre un pays, de défendre des choix ». Et puis aussi, parfois, au détour d'une confidence, de la souffrance...

 

« Elles sont l'objet de beaucoup de critiques ;

elles sont à la fois dans la colère et dans la méfiance. »

 

Parce qu'elle a passé des mois avec ces femmes passionnées par leur métier d'agricultrices, pour moitié en conventionnel et pour moitié en biologique, Anne Lecourt est elle-même passionnée quand elle parle de son livre. Parce que parler de ce qu'elle a écrit, c'est d'abord, c'est surtout, parler de ce qu'elles ont dit. Ancienne traductrice, l'autrice sait à merveille se cacher derrière la voix des autres. « Faire de la traduction – explique-t-elle – ça suppose comprendre beaucoup de choses qui ne sont pas dites, qui sont entre les lignes, mais ça suppose aussi rester à l'écart et cette place-là me va bien ! » Même si, elle l'avoue, elle doit parfois se méfier d'une trop grande empathie face à des destins bouleversants comme celui de Karine pour qui les années dans cette ferme créée avec son mari ont été à la fois « les pires et les plus belles».

AnnePour garder ses distances, Anne Lecourt passe toujours par la relecture. Ce sont les femmes elles-mêmes qui choisissent ce qui peut être écrit et ce qui ne doit pas l'être. Il faut parfois faire une pause, réécrire, se concerter à nouveau. Car elles ont très peur d'être jugées sur ce qu'elles disent ou ce qu'elles font, toutes ces femmes au centre d'attaques parfois très violentes sur leurs façons de vivre et travailler. « Elles sont l'objet de beaucoup de critiques – dit encore Anne Lecourt – elles sont à la fois dans la colère et dans la méfiance. »

Elle qui au début de ce travail venait juste de choisir de quitter la campagne parce qu'elle ne se sentait plus vraiment « en accord avec l'agriculture » reconnaît que ces rencontres n'ont pas changé ses convictions mais ont fait évolué son regard.

« Ça m'a fait comprendre – dit-elle – que c'est compliqué. Les filles qui cultivent en bio font de l'agriculture, mais elles font aussi de la politique. Elles savent pourquoi elles sont là. Pour les autres, c'est plus difficile ; elles sont dans l'obéissance à un modèle qu'elles ont reçu avec l'impression d'être toujours entre le marteau et l'enclume. C'est la loi, l'Europe, la PAC, le banquier, le conseiller agricole, le distributeur, le consommateur... il y a toujours quelqu'un pour leur dire ce qu'elles doivent faire. Mais quand on se rend compte qu'on va dans le mur, il n'y a plus personne autour. Et ce ne sont jamais les banquiers qui se pendent ! » « Les rapports sont comme ça, il y a ceux du haut et ceux du bas » dit Cassandra en écho dans le livre.

 

« On aborde des choses qui fâchent, des thématiques brûlantes

qu'il est urgent de débattre ensemble aujourd'hui. »

 

« Je n'ai pas choisi, je me suis arrangée avec les rencontres que j'ai faites » dit encore Anne Lecourt qui a eu à cœur de conserver dans son livre toutes les femmes qu'elle avait rencontrées, du Finistère à la Mayenne, du Maine-et-Loire à la Manche, les plus jeunes encore en activité, quelques-unes à la retraite. Elle a eu un peu de mal au départ avec le titre imposé par l'éditeur. Dans ces « paysannes » elle entendait les insultes de son enfance lorsqu'on traitait de haut ceux dont on disait qu'ils étaient des « espèces de paysans » juste avant de les nommer des « ploucs ».

Pourtant, il y a Marie-Hélène, la « chevrière libre » de Loire-Atlantique qui confie être paysanne plutôt qu'agricultrice parce que pour elle ça veut dire être d'un pays, avoir des racines et un contrat moral avec le lieu et le vivant qui peuple ce lieu. « Finalement la notion de territoire m'intéresse beaucoup » reconnaît Anne Lecourt qui y voit « des histoires, des paroles, des façons de penser, des valeurs » c'est-à-dire toute une « culture populaire, une culture orale et collective. Un ancrage ».

Parler agriculture au 21ème siècle c'est souvent ouvrir un débat. Depuis la sortie de son livre, Anne Lecourt sillonne la Bretagne – et un peu plus – pour le présenter. De nouvelles rencontres avec ceux et celles qui au quotidien se démènent dans cet univers de passion et de souffrance comme le souligne le sous-titre de son ouvrage. Et parfois, aussi l'occasion de croiser celles qui n'ont pas souhaité répondre à ses demandes, qui ont eu peur de témoigner. « On aborde des choses qui fâchent - dit-elle – des thématiques brûlantes qu'il est urgent de débattre ensemble aujourd'hui. »

Geneviève ROY

Pour aller plus loin : lire Paysannes de Anne Lecourt aux éditions Ouest-France

Echanger avec Anne Lecourt et quelques-unes de « ses » paysannes, à Rennes le 16 septembre à l'occasion d'une rencontre organisée par Breizh Femmes au salon de thé culturel Références Electriques, place du Souvenir