« On a qu'une vie et c'est déjà une chance ».
Avant même d'entrer sur la scène, Claire Péricard, en voix off, a donné le ton.
Invitée par l'association Femmes Entre Elles, c'est à la Maison Internationale de Rennes que la conteuse a donné son spectacle J'ai Beaucoup de chance dans le cadre des journées du mois de mars de Rennes Métropole.
Le message de cette « fiction autobiographique » est clair : naître femme n'est pas un cadeau, alors sachons se contenter du moins pire !
Sur scène dans sa robe rouge, Claire Péricard raconte la journée ordinaire, ou presque, d'Irène. Une journée qui arrive au lendemain d'un cauchemar dont la protagoniste ne parvient pas à trouver le sens. Jusqu'au soir on va la suivre, se débattant dans son quotidien de femme seule avec enfant, caissière dans un supermarché, obligée de subir la radio du voisin si elle veut aérer sa cuisine.
Le train-train quotidien d'Irène est ponctué de flash-back. Autant de souvenirs qui remontent à la surface suite au cauchemar. Un cours de littérature au lycée, l'accouchement d'une amie, la lettre de sa mère qui annonce son prochain suicide,la révision des cours d'allemand à l'heure des devoirs avec sa fille... Et voilà Irène plongée dans toute sorte de questions sur son parcours de vie, appelant à la rescousse Platon, Plutarque ou encore Camus pour l'aider à démêler l'écheveau qui semble s'être enroulé autour d'elle au fil du temps.
D'ailleurs, s'interroge-t-elle pourquoi dans son recueil de citations philosophiques n'y a-t-il qu'une seule femme ? Hannah Arendt serait-elle la seule femme capable de philosophie ? On s'apercevra ensuite que les femmes finalement sont sûrement plus philosophes que les hommes, mais qu'elles le sont discrètement, dans leur vie de tous les jours...
Sortie du ventre d'une femme
A chaque nouvelle réflexion, Irène arrive à la conclusion suivante : finalement elle a eu de la chance. La chance de ne pas subir de violences conjugales puisqu'elle n'est pas mariée ; la chance de ne pas subir de violences obstétricales puisqu'elle n'a jamais été enceinte (sa fille, elle l'a adoptée), la chance de ne pas être lapidée, ni mariée de force, ni même violée. Les exhibitionnistes qu'elle a bien sûr rencontrés sur son chemin ont toujours été mis en fuite par l'arrivée d'une voiture ou le petit canif caché dans sa poche ! Et c'est le poète René Char qui lui murmure son message de soutien : « impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque ».
Il a suffi à Irène de comprendre au cours de cette journée que son prénom n'est pas la contraction de Ire (colère) et Haine comme elle l'a toujours cru mais plutôt un dérivé du mot grec désignant la paix pour qu'elle parvienne apaisée à l'heure du diner.
Et tant pis si en ouvrant sa fenêtre pour profiter du soleil couchant elle doit encore supporter la radio du voisin. Désormais elle sait que si une femme ne croise pas trop de violences dans sa vie, elle peut se réjouir d'avoir eu de la chance. « Je sais juste avec certitude que je suis sortie du ventre d'une femme » sera sa conclusion. Comme s'il n'y avait pas d'autre sens à une vie...
Cette soirée en forme de fable les militantes de FEE (Femmes Entre Elles) ont souhaité la conclure en offrant à Claire Péricard un volume de leur recueil de poèmes Fées Confinées écrit par les membres de l'association durant le confinement de 2020.
La conteuse, ravie, n'a pas résisté à l'envie de dire quelques mots sur ces fées qui peuplent les contes populaires à travers tout le répertoire traditionnel. A l'origine, a-t-elle expliqué « il n'y avait pas d'un côté les méchantes et de l'autre les gentilles, d'un côté les jeunes et belles et de l'autre les vieilles, laides et ménopausées. C'étaient les mêmes personnes. »
Pas de quoi nous étonner quand on sait qu'en langue bretonne, c'est le même mot – gwrac'h – qui désigne les fées et les sorcières...
Geneviève ROY