Quelque part au sud de Rennes, entre Blosne et Bréquigny, existe un îlot dont le centre vital est la Maison de Suède et le petit parc, juste derrière.
Chaque jour, on y croise des femmes. Des femmes qui se rencontrent pour parler, pour passer le temps, qui partagent leurs rêves et leurs angoisses comme elles partagent les petits gâteaux à l'heure du thé.
Des femmes qui un jour ont décidé de relever un défi : devenir les héroïnes d'un livre. Des héroïnes toutes simples qui disent en vérité leurs parcours et ce qui les fait avancer. Juste par envie de partager « des valeurs de vie qui pourraient aider d'autres personnes à trouver la force de se battre, de demander de l'aide ».
Pour clore la programmation du mois de mars à Rennes, elles ont dévoilé leurs Récits de femmes.
C'est une (belle) histoire de femmes. Au début, il y a Edith Germain, responsable du secteur adulte de la Maison de Suède. Son livre qui raconte les femmes qu'elle côtoie chaque jour, elle en rêve depuis longtemps. Alors vient le moment où elle en parle à Frédérique Jouvin, photographe. Qui elle-même en parle à Alice Dragon, rédactrice. Et aux trois premières, viennent se joindre Elsa, la graphiste qui imagine la mise en page, et Anaïs Levasseur, la comédienne qui le 29 mars, dans une salle comble de la Maison de Suède, a interprété des extraits de l'ouvrage.
Des « vraies » héroïnes du livre, on ne connaîtra que les prénoms, parfois les photos, quand elles acceptent cette intrusion dans leur vie personnelle. Dans une salle en sous-sol de la Maison de Suède, au milieu des cris et des jeux des enfants, quelques jours avant la sortie de leurs « Récits de femmes », Julie, Inès, Monique et Rachida, venues représenter le groupe des neuf, font preuve d'un enthousiasme débordant.
« Ce sont les femmes qui font vivre le quartier »
A la question d'Edith Germain, « vous aviez un message à passer, non ? », c'est Inès qui répond avec malice : « vous verrez ça dans le livre ! » au milieu des rires de ses compagnes. Un suspense très vite dévoilé à la lecture des portraits joliment rédigés par Alice Dragon. Le message de ces femmes tient en un mot : la force. Celle qu'il leur faut pour affronter le quotidien, leur vie de femmes, de mères, parfois de migrantes. Les femmes sont fortes, on le savait déjà, mais celles-ci se plaisent à nous le redire avec insistance.
Il y a Karima, surnommée « la jeune qui réveille les mamies », dont le parcours a été « jalonné de défis tous relevés avec force malgré les obstacles ». Il y a Lolita qui « tient seule la barre de son existence » et pense que « les femmes sont bien plus fortes que les hommes [parce qu'] elles vivent et restent debout pour leurs enfants ». Il y a Martine, mère de neuf enfants, qui estime que « ce sont les femmes qui font vivre le quartier » et la plus jeune, Zarha, 22 ans, qui veut juste « être autonome ».
Et puis, il y a Rachida qui a connu la vie sans papiers et Valérie, « pure Bretonne » convertie à l'Islam, qui s'entend dire « retourne dans ton pays » parce qu'elle porte le voile. Il y a Julie qui s'émerveille de se reconnaître avec autant de vérité dans le portrait tracé par Alice et Inès qui sait déjà ce qu'elle pourrait dire dans un prochain livre. Et enfin, il y a Monique, qui du haut de ses quarante-trois ans de vie au quartier et de ses douze étages surplombant le parc, est devenue une sorte d'icône, « la mamie du quartier » dit Julie dans un rire.
« Un lieu de retrouvailles, de goûters, de pique-niques, de soirées »
Le parc, elles en parlent toutes. C'est le point central, derrière la Maison de Suède, un lieu si prisé que même du Blosne, de l'autre côté de l'Avenue, on vient y goûter la joie de vivre et l'esprit de partage ; « notre QG » résume Rachida. « Dans le parc, il y a des groupes – dit encore Julie – mais un moment donné, pour le manger, tout le monde se réunit ». Inès évoque les « bouffées d'oxygène » que lui procure la fréquentation de cet endroit, « lieu de retrouvailles, de goûters, de pique-niques, de soirées passées à discuter » écrit Alice Dragon, comme « une deuxième maison, une seconde famille » pour Lolita.
Elles sont fortes, oui, elles sont gaies aussi, malgré les malheurs et les difficultés quotidiennes, malgré les souvenirs de prison et l'enfant handicapé, malgré « ce poids qui entrave parfois la poitrine » ou « le regard pesant du racisme ».
Si elles ont accepté de rencontrer Alice Dragon et Frédérique Jouvin pour livrer leur intimité, c'est parce qu'elles avaient envie de donner une image positive de leur « petite cité à l'intérieur de la cité ». Le même objectif finalement que les créatrices : « montrer que la mixité culturelle existe et que ça se passe bien ».
« C'était comme si nous étions avec nos copines »
La volonté d'Alice Dragon - « mettre en valeur leur parole et être fidèle le plus possible à ce qu'elles ont livré de leur personnalité » - semble atteinte à voir les visages illuminés des femmes concernées. L'œil de Frédérique Jouvin a su se faire aussi discret que possible, jusqu'à être oublié, pour capter l'expression du visage ou des mains, l'objet fétiche ou l'atmosphère de la pièce.
Conçus grâce à des subventions municipales, les « Récits de femmes » ne peuvent être vendus. Les 1000 exemplaires seront disponibles à la lecture dans toutes les bibliothèques, les centres sociaux, les MJC et autres maisons de quartier de la ville. Et chacune des participantes, bien sûr, pourra disposer de quelques exemplaires à partager autour d'elle.
Les femmes fortes de Suède rêvent déjà d'un deuxième tome et espèrent que leur exemple pourrait donner des idées à d'autres femmes du quartier. « Ça fait du bien de parler » disent-elles sobrement, reconnaissantes de la complicité qu'ont su créer Alice Dragon et Frédérique Jouvin ; « grâce à elles, tout a été facile – écrivent-elle en avant-propos du livre – elles ont su nous mettre à l'aise et c'était comme si nous étions avec nos copines ».
Geneviève ROY
Photos :
1 – Frédérique Jouvin (à gauche) et Alice Dragon (à droite) entoure les femmes de la Maison de Suède – au centre : Edith Germain
2 – La comédienne Anaïs Levasseur lit des extraits du recueil le 29 mars devant les usager-ère-s de la Maison de Suède