Chaque année, le festival Rue des Livres permet de croiser à Rennes quelques belles plumes françaises et étrangères. Nous avons toujours à cœur d'aller à la rencontre d'une ou plusieurs écrivaines ; l'édition 2019 qui se tenait voilà quelques semaines nous a permis de découvrir une œuvre et une autrice, la Saoudienne Hanaa Hijazi.
L'occasion aussi d'en savoir plus sur la vie quotidienne des femmes d'un pays encore très fermé.
On retiendra que quand les mentalités évoluent, les femmes ne sont pas les dernières à en profiter. Dans certains milieux privilégiés, sans doute.
« Vous avez une vie qui en quelque sorte va à l'encontre de certains clichés que l'on peut avoir sur les femmes saoudiennes ». Sous la halle qui accueille le salon Rue des Livres, l'animatrice qui reçoit Hanaa Hijazi traduit certainement les pensées de nombre de spectatrices et spectateurs. Vêtue d'un pantalon, arborant cheveux libres et bijoux fantaisie, l'autrice sourit, visiblement satisfaite de bousculer un peu des mentalités trop étroites.
« Je suis Saoudienne, je ne porte pas le hijab et je voyage toute seule » énumère avec une certaine malice celle qui est ici reçue comme écrivaine mais peut aussi se prévaloir d'une carrière réussie de médecin. « Je ne suis pas un cas unique ; il y a beaucoup de femmes qui se sentent libres » enchaîne-t-elle rapidement pour dissiper tout malentendu.
Et c'est d'ailleurs bien de cela qu'elle parle dans son livre, Deux femmes de Djeddah, qui met en scène l'amitié entre Leila et Maram, l'une issue d'une famille conservatrice et l'autre d'un milieu plus modéré. « C'est tout le paradoxe de l'Arabie Saoudite – explique l'autrice – ces deux familles peuvent parfaitement exister et cohabiter. Leila n'est pas une exception et Maram non plus. C'est une société qui vit avec ces deux visages ! »
« La Saoudienne, aujourd'hui,
aspire au changement
en gardant certaines traditions »
Soulignant que son personnage, Leila, vit à la fois en rébellion contre le patriarcat tout puissant et en accord avec sa religion, Hanaa Hijazi insiste. « Chaque être humain porte ses contradictions en lui-même – dit-elle - et c'est valable aussi pour la femme saoudienne, qu'elle soit conservatrice ou plus libérale. La Saoudienne, aujourd'hui, aspire au changement, elle est révolutionnaire mais tout en gardant certaines traditions, en respectant la religion. »
Djeddah est une ville portuaire ouverte sur la Mer Rouge. C'est la ville d'Hanaa Hijazi, celle qui l'inspire. Si la société saoudienne est emprunte « d'une forte appartenance tribale », certaines régions et notamment celle de Djeddah, se plaisent à s'en affranchir. A l'exemple de sa ville, Hanaa Hijazi, a su prendre ses distances. « Je viens d'une tribu très connue – explique-t-elle – mais je me suis mariée avec un homme d'une autre tribu. D'ailleurs, mes parents n'étaient pas d'accord et j'ai dû faire du forcing ! »
De la même façon, c'est très régulièrement – tous les deux mois environ – qu'elle voyage en dehors des frontières de son pays, vers le Canada où son fils est étudiant, vers l'Europe qu'elle « aime beaucoup » ou encore « dans la région vers Dubaï ou le Caire ». Si les femmes restent légalement soumises à l'autorisation d'un homme de leur famille pour se déplacer, Hanaa Hijazi a obtenu « une permission à vie » de son frère pour prendre l'avion aussi souvent qu'elle le souhaite. Et si elle porte le voile quand elle est dans son pays, c'est dit-elle « plus par tradition » que par contrainte religieuse. La police religieuse, autrefois très active à Djeddah, a pratiquement disparu de la ville.
« La possibilité pour les femmes
d'entrevoir des choses
qu'elles ne connaissaient pas avant »
Le livre de Hanaa Hijazi a certes choqué nombre de Saoudien-ne-s avant même sa publication. Pourtant, il a reçu l'aval du ministère de la Culture et de la Communication, sans lequel aucune édition n'est possible. La preuve, selon elle, qu'un « vent de changement » souffle en Arabie Saoudite car il y a quelques années, « ça n'aurait pas pu arriver ».
Hanaa Hizaji le reconnaît, sa famille est particulièrement ouverte. Si sa vie et son roman peuvent donner une image plutôt positive de son pays, la situation des femmes en Arabie Saoudite reste souvent difficile. Elle a su dépasser les deux obstacles majeurs à la liberté des femmes, à savoir le mariage et les voyages, où les maris, frères, pères ou oncles conservent toute leur autorité.
« Pour le travail et les autres activités » dit-elle, ils n'interviennent pas. Toutefois, l'animatrice soulève que l'une des héroïnes du roman est certes libre de travailler mais se voit confisquer son salaire par son père.
Quand elle parle d'évolution des mentalités, Hanaa Hijazi précise qu'elle parle bien « de la société pas du système politique », cette société qui s'ouvre aux spectacles et au cinéma ou qui accepte que les femmes puissent conduire une voiture. « Ça donne la possibilité aux femmes d'entrevoir beaucoup de choses qu'elles ne connaissaient pas avant » analyse l'écrivaine. De quoi, sûrement, faire germer ces petits « gênes de la révolution » qu'elle entrevoit en chaque Saoudienne.
Geneviève ROY
Pour aller plus loin : Deux femmes de Djeddah de Hanaa Hijazi aux éditions l'Harmattan