Les événements étaient nombreux en novembre à Rennes : lutte contre les violences faites aux femmes, journées nationales des prisons consacrées à l'enfermement, festival des solidarités sur le thème des inégalités.
Le spectacle proposé par Souria Adèle se situe à la croisée de tous ces chemins.
Mary Prince, pièce en un acte à un seul personnage, décrit la dure condition des esclaves au cœur des Antilles de la fin du XIXème siècle. Un témoignage poignant et unique, mis en scène avec sobriété pour redonner toute sa dignité à cette femme bafouée.
La comédienne Souria Adèle est Martiniquaise et, depuis sept ans, elle silonne la France métropolitaine et d'Outre-Mer avec son spectacle seule en scène ; elle était en novembre à la Maison de Quartier de Villejean, à l'invitation de la ville de Rennes.
Passionnée de littérature caribéenne, c'est par hasard que Souria découvre sur les tables d'un salon du livre le texte remarquable de Mary Prince. Des récits d'esclavage, elle en a déjà lus, mais c'étaient des fictions sur les champs de canne ou de coton ; celui-ci la bouleverse. Il s'agit du témoignage d'une femme âgée livré à un avocat qui l'héberge à Londres. Elle souhaite alors que « les bonnes gens d'Angleterre puissent apprendre de la bouche d'une esclave les sentiments et les souffrances d'une esclave ».
« Personne – dit aujourd'hui Souria Adèle – n'aurait pu écrire ce qu'elle raconte ! » Nous sommes en 1830, quelques voix commencent à s'élever pour demander l'abolition de l'esclavage, mais la plupart des gens ignorent ce qui se passe vraiment dans les îles des Antilles, « ce gateau que se sont partagé les puissances européennes » dit la comédienne.
Seulement six témoignages de femmes arrivés jusqu'à nous
Si le texte a déjà été traduit et édité en français, Souria Adèle choisit de faire une nouvelle traduction ; elle a l'intuition qu'il faut le diffuser et notamment l'adapter pour la scène. En effet, ce témoignage est précieux car extrêmement rare. « Il n'y a qu'une centaine d'hommes en situation d'esclavage qui ont livré leur témoignage et ce sont tous des Américains – insiste Souria – et des femmes il n'y en que six à ma connaissance et aucune en langue française. » Une « grosse carence » qui pour elle complique l'enseignement et la transmission de cette triste période aux jeunes générations. Les Bermudes d'où est originaire Mary Prince ne sont pas loin de la Martinique ; Souria y voit aussi un peu de sa propre histoire.
Durant une heure, seule sur scène dans une magnifique robe choisie pour symboliser la dignité de cette femme, Souria Adèle va être Mary Prince. Elle dit ses mots, certes, mais elle l'incarne plus encore. Son visage, ses silences, tout son corps en disent tout autant que ses paroles. Car en 1830, on ne peut pas tout dire et le pire est parfois seulement suggéré ; « les violences sexuelles, c'est trois lignes, c'est tout ».
Etre noire et comédienne dans la France des années 80
« Je ne suis pas sociologue, je ne suis pas historienne » dit encore la comédienne qui semble néanmoins incollable sur la question de l'esclavage. Elle prolonge toujours son spectacle par un échange avec le public et apprécie particulièrement les représentations en milieu scolaire. Autant d'occasions pour elle de rappeler que si l'esclavage a été aboli, il existe pourtant encore sous d'autres formes. « A cette époque-là, c'est légal, c'est l'Etat qui l'organise – explique-t-elle – aujourd'hui, ce n'est plus légal pourtant la traite des êtres humains existe toujours notamment dans la prostitution ». Et avec les collégien.nes et les lycéen.nes, elle évoque le lien entre l'esclavage et le racisme.
Un sujet que Souria Adèle connaît bien aussi, elle qui a dû se battre pour s'imposer comme comédienne noire dans les années 80. Son premier spectacle s'intitulait Marie-Thérèse Barnabé, négresse de France. Elle y décrivait avec un « humour acide » la vie quotidienne d'une femme noire dans la France des années 60. « Ma parole était inentendable » dit-elle évoquant les castings à répétition où on ne lui proposait que des rôles de femme de ménage.
« Quand j'entends aujourd'hui certaines personnes dire "on ne peut plus rien dire" je trouve ça d'une indécence terrible ! - s'indigne la comédienne – moi, il y a vingt ans, je ne pouvais pas dire ce que je voulais, je trouve que c'est un rééquilibrage. Est-ce que c'est si grave de faire juste un peu attention à ce qu'on dit ? Les choses ne sont pas immuables, elles évoluent ; c'est parfois violent, parfois maladroit, mais il y a eu tellement d'années de non parole ! »
« La liberté est si douce ! » Lorsque Mary Prince/Souria Adèle prononce cette phrase en début de spectacle d'abord, puis à la fin de la pièce, c'est la voix de toutes les femmes qu'on entend. Celles des Mary Prince martiniquaises, guadeloupéennes, guyanaises, réunionnaises ou haïtiennes dont aucune parole n'est arrivée jusqu'à nous. Celles aussi de toutes les autres femmes baillonnées, humiliées, réduites au silence par la violence. Mary Prince, elle, est désormais une héroïne nationale célébrée aux Bermudes.
Geneviève ROY
Pour aller plus loin : on peut retrouver Mary Prince en DVD