Les violences psychologiques existent au même titre que les violences physiques. Mais pour certaines personnes qui en sont victimes, c'est souvent encore plus difficile de dire sa souffrance.
Si la violence psychologique ne laisse pas de traces visibles elle détruit pourtant autant que les coups. Avec sa pièce de théâtre « Au voleur » c'est ce qu'a choisi de montrer l'auteure, Anne Pia, dans le monologue d'une femme qui parle enfin de ce qu'elle a tu, de ce qui la tue.
Rencontre avec Véronique Durupt, metteure en scène, et Sonia Rostagni, comédienne.
Pour la metteure en scène, Véronique Durupt « dans la relation de couple, il y a toujours, à certains moments, des formes de violences relationnelles. » Mais dit-elle encore : « chacun d'entre nous met le curseur à un endroit différent. » C'est ce qu'elle a voulu exprimer dans la mise en scène de la pièce de théâtre d'Anne Pia, « Au voleur ».
Plutôt que de raconter l'histoire d'une femme victime de violences psychologiques, Véronique Durupt a voulu donner à voir différents visages pour que chacun et chacune puisse s'y retrouver. Et se poser la question : et, moi, est-ce que j'ai déjà accepté ça ? Ou est-ce que je l'accepterais ?
Un thème fort dont on a envie de parler
« Le spectacle est construit sur la pensée fragmentée d'une femme qui a aimé, qui a fantasmé et qui reconnaît qu'elle s'est trompée. Mais qui aime encore peut-être – explique Véronique Durupt (photo ci contre) - Elle s'est menti à elle-même mais finit par admettre qu'il faut se défaire de cette violence jusqu'à aller porter plainte. Ce n'est pas un spectacle sur une femme qui vit la violence mais sur des femmes. Parce que chacune peut être plus ou moins exposée à cette violence, mais pour certaines le curseur est beaucoup trop loin et elles doivent réapprendre à le mettre au bon endroit. »
Eric Leclerc, travailleur social, qui accompagne des femmes victimes de violences conjugales a montré cette pièce à des femmes concernées. « Pour certaines, ça a été une révélation -dit-il – parce qu'elles se sont rendu compte qu'elles acceptaient beaucoup trop de choses avant de réagir. »
Les représentations de « Au voleur » sont très souvent suivies d'un temps d'échange avec le public. « Les gens ont généralement envie de parler après ce spectacle » estime Sonia Rostagni, seule comédienne sur scène accompagnée d'un violoncelliste. Certains prennent conscience que de telles relations existent, d'autres qu'eux-mêmes en vivent de semblables. « Ce n'est pas un rôle comme un autre – reconnaît la comédienne – parce que c'est un thème très fort et le public est très sensible à ce texte. Un jour une dame est venue me dire : "j'ai parfois été l'agressée, mais j'ai aussi pu être l'agresseur." Si ça permet aux gens de prendre conscience, on a gagné ! »
« On ne voulait pas faire un portrait stigmatisé – explique de son côté Véronique Durupt – Le spectateur ne doit pas se dire : tout ça, c'est loin de moi ! Le théâtre, c'est une sorte de laboratoire pour comprendre ce qu'est l'être humain. Il peut servir à révéler la responsabilité morale de l'autre. Cette pièce met en scène le déni, déni personnel mais aussi déni de l'autre et déni sociétal. »
Etre femme ou le devenir
La cause des femmes imprègne le travail des deux artistes. « Il n'y a pas très longtemps que je me suis rendu compte que j'étais un individu avant d'être une femme – explique Sonia Rostagni – Et quand j'ai compris ça, je me suis regardée autrement. Quand on est comédienne, on est beaucoup dans un rapport de séduction et c'est vrai que je suis très sensible aux regards des autres sur moi. Mais dans ma vie de tous les jours, ça m'énerve de devoir rentrer dans un certain carcan – être belle ou savoir faire le repassage – juste parce que je suis une femme ! »
« Dans ma vie personnelle et artistique, j'ai mis du temps à me rendre compte que j'étais devenue une femme – dit Véronique Durupt paraphrasant Simone de Beauvoir – Le travail sur cette pièce nous a permis de conscientiser beaucoup de choses pour nous-mêmes qui sommes, dans notre milieu professionnel, essentiellement confrontées au masculin. Il y a plein d'hommes qui m'aident à être femme, mais il y en a aussi beaucoup qui inconsciemment restent dans des modèles patriarcaux et nous imposent, à nous, les femmes, des rôles absolument obsolètes dont il faut se défendre. »
Eric Leclerc, lui, tient à souligner l'impact social d'une pièce de théâtre. « C'est faux - martèle-t-il – de dire qu'on ne peut pas faire du culturel et du social en même temps ! On peut parfaitement avoir un objet artistique de qualité, esthétique, travaillé, etc. qui permette en même temps un vrai travail social. Il faut abattre les murs entre nos deux domaines ! »
Véronique Durupt ne dit pas autre chose quand elle affirme : « En tant qu'artiste, je me dois de m'emparer de thèmes de société pour faire avancer les choses. » Et c'est bien ce qu'elle fait quand des spectateurs se sentent interpellés sur leur relation à leur conjoint ou plus généralement sur les relations hommes/femmes dans la société ; ou quand une femme prend la parole lors des échanges à l'issue du spectacle pour dire : moi aussi, j'ai vécu ça !
Geneviève ROY
Pour aller plus loin :
La pièce « Au voleur » sera représentée à Rennes au printemps 2015, le 7 mai à la MJC de Bréquigny et entre le 26 et le 31 mai au théâtre du Vieux Saint-Etienne et devrait être exportée dans les départements voisins prochainement.
On peut retrouver Sonia Rostagni dans un rôle plus léger dès le 5 décembre au restaurant Knock rue de Saint-Brieuc à Rennes dans le cadre de « Polar au restaurant » et Véronique Durupt dans la mise en scène d'un spectacle pour enfants intitulé « Papiers ». Infos et autres spectacles sur le site de la Compagnie des Ronds dans l'Eau.