« J'avais l'impression d'avoir la langue lourde ; je me disais : tu ne parles plus ! » témoigne Générose Corbinais, mère de trois enfants, qui vient de sortir d'un congé parental de cinq ans.

 

Generose

 Pour elle, le retour à l'emploi, c'était l'occasion de changer de métier et de réaliser son rêve : devenir infirmière. Mais, un trou de plusieurs années dans un CV, même compensé par le bonheur d'être mère est parfois difficile à combler.

Un projet d'accompagnement aux bénéficiaires du CLCA (congé de libre choix d'activité) a permis à une trentaine de femmes dans la même situation que Générose de reprendre pied progressivement, avec l'aide du CIDFF 35 et de Buroscope, dans la réalité du monde de l'entreprise.

Nombre de femmes sont en congé parental sans l'avoir véritablement choisi. En effet, cesser le travail à la naissance du deuxième voire du troisième enfant, c'est parfois la meilleure solution pour celles qui sont en recherche d'emploi ou enchaînent les emplois précaires mais aussi pour celles qui suivent un conjoint lors d'une mutation et se retrouvent sans travail dans une ville ou une région nouvelle.

Pour toutes ces femmes, la fin du congé parental est parfois difficile à négocier. Sophie, infographiste-designer, s'étonne ainsi que « trois ans de congé parental balaient d'un coup quinze ans d'expérience. » Dans son domaine technique où les choses évoluent vite, elle pense aussi qu'un travail s'impose auprès des employeurs pour contrer leurs à-priori négatifs.

Non inscrites à Pôle Emploi, les bénéficiaires du CLCA ne peuvent accéder à aucune possibilité de stage, découvertes en entreprises ou autres formations jusqu'à la fin de leur congé parental, ce qui leur permettrait pourtant un retour plus progressif et mieux ciblé vers l'emploi.

La Bretagne, désignée « territoire d'excellence pour l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes » par le gouvernement, a été invitée à tester depuis l'automne 2013 un nouveau dispositif d'accompagnement au retour à l'emploi. A Rennes, le CIDFF d'Ille et Vilaine en partenariat avec Buroscope a accompagné une trentaine de jeunes femmes entre octobre 2013 et juin 2014.

lepinayneveuA l'heure des bilans, Régine Lépinay, directrice du CIDFF 35, et Claudia Neveu, responsable du service Emploi de Buroscope (notre photo) sont formelles : l'expérience, malgré quelques ajustements à prévoir, se révèle positive pour les bénéficiaires dont 40% ont retrouvé un emploi, 20% sont entrées en formation et 20% sont sur le chemin de la création de leur entreprise. Elles espèrent aujourd'hui que leurs analyses serviront à mettre en place au niveau national d'autres projets du même type à destination des femmes, et pourquoi pas des hommes, qui feront le choix de s'éloigner de l'emploi quelques années pour s'occuper de leurs enfants.

«Me séparer en douceur de mon enfant »

Générose, mère de trois enfants, a fait partie des femmes accompagnées à Rennes. Aujourd'hui, elle dresse un bilan positif de sa situation tant sur le plan familial que professionnel et aborde avec confiance une nouvelle étape de sa vie de femme.

« Ca faisait cinq ans que j'étais en congé parental. Cet accompagnement m'a permis de me séparer en douceur de mon enfant en le mettant chez une assistante maternelle. Lui, ça l'a préparé à sa rentrée scolaire, la semaine dernière, et ça a été un plus aussi pour nous. Durant toutes ces années, j'étais épanouie ; j'étais très contente de m'occuper de mes enfants. Maintenant, je passe un petit peu le relais à l'école. Et ce dispositif m'a permis de le faire en douceur.

J'avais fait plusieurs métiers juste avant mon congé parental. En dernier, j'étais responsable d'un service commercial à Toulouse. J'ai déménagé pour suivre mon conjoint et j'ai fait le choix ici de travailler en interim. J'ai fait cinq ou six ans d'interim avant de prendre mon congé parental à la naissance de mon deuxième enfant. Puis j'ai eu un troisième enfant et j'ai enchaîné un autre congé. Je suis alors revenue vers une envie que j'avais depuis longtemps qui est de me former au métier d'infirmière. Je me suis dit que j'allais profiter de ce congé parental pour me préparer au concours.

Pour moi, ça a été du pain béni le courrier de la CAF qui me présentait ce dispositif ! Quand je l'ai reçu, dans un premier temps, j'avoue que j'étais réticente et que je suis venue surtout par curiosité ; en fait, j'ai trouvé ça super. C'est vraiment un dispositif excellent. Je pensais avoir une vie sociale ; je faisais du sport et je n'avais pas l'impression d'être coupée du monde. Mais, en congé parental, on est quand même dans une bulle, on s'oublie. On pense aux enfants, au conjoint, mais on s'oublie, nous ! Et le fait de venir aux réunions, de prendre du temps pour soi, c'est très important.

On était entre femmes, dans des situations semblables, et on se comprenait. Il y a eu beaucoup de solidarité entre nous. Ca nous a permis de nous remettre le pied à l'étrier, d'appréhender la reprise du travail en douceur et aussi la séparation avec nos enfants, en douceur ! »

« On a vu l'évolution de chacune, l'évolution des projets »

« Un trou de trois ans sur un CV pour un employeur, c'est long ! Et puis, nous, on se met des freins également ; on se dit : pendant trois ans, je n'ai rien fait ! Alors que si, on a fait des choses ! On s'est occupé de la maison, on a géré l'organisation, etc. mais ça, on l'oublie et donc on se dévalorise beaucoup ! Effectivement, on a coupé le contact avec l'entreprise ; on vit un petit peu dans notre monde de maman... On est dans un fonctionnement complètement différent.

Ce que j'ai le plus apprécié ce sont les stages. Quand je suis arrivée dans cette action mon projet était déjà défini, je voulais intégrer l'école d'infirmière donc passer le concours . Ce qui me manquait, c'étaient les stages d'observation parce que je ne viens pas du tout du domaine médical ou paramédical et que pour passer devant le jury il fallait que je sois crédible ; j'ai fait des stages, j'ai vu la réalité du métier donc ça a donné du poids à mon projet et du coup ça a été vraiment très intéressant pour moi...

groupeclcaEt j'ai beaucoup apprécié les temps en groupes ; on a vu l'évolution de chacune, l'évolution des projets. On a nous-mêmes évolué durant ces neuf mois. On a vu les différents freins à l'emploi, comment reprendre confiance en soi. Le fait de discuter, de parler entre nous, déjà c'est important.

Moi, j'avais l'impression d'avoir la langue lourde. Je me disais : tu ne parles plus ! Le fait de parler d'autre chose, de parler de travail et des réalités, ça nous a bien préparées ; ça nous projetait déjà et moi, personnellement, ça m'a bien aidé !

La formation en école d'infirmière dure trois ans. Juste avant mon congé, j'avais travaillé, donc j'avais ouvert des droits à la formation mais au bout de cinq ans, tous mes droits ont été effacés. J'ai été surprise d'apprendre à Pôle Emploi qu'on ne pouvait plus me financer ma formation. Donc, j'ai dû interrompre mon congé parental qui se termine normalement fin novembre, pour reprendre le travail ; il fallait que je travaille au moins quatre mois pour regagner mes droits.
Je voulais travailler la nuit pour continuer à m'occuper de mes enfants ; j'aurais voulu un emploi d'ASH (agent de service hospitalier ) mais c'était très dur à trouver donc j'ai accepté un poste à l'entretien de la gare de Rennes et j'ai un contrat de sept mois.

J'ai pu trouver ce travail grâce au CIDFF et à Buroscope qui nous ont appris à utiliser nos réseaux. Moi, je ne me livre pas beaucoup et je ne disais pas aux gens que je cherchais du travail et là, je me suis lancée ! Et c'est un de mes contacts qui m'a parlé de ce poste de nuit qui se libérait. Donc, j'ai activé mon réseau et ça m'a permis d'avoir ce poste jusqu'à fin janvier et ainsi je vais rouvrir mes droits à la formation ! Ensuite je passerai le concours en mars et la formation débutera à l'automne suivant.

Pour moi, ce qui a été un peu compliqué au début, c'est la garde de mon plus jeune enfant. Il n'y avait pas de place à la crèche et j'ai trouvé in extremis une nounou qui a accepté de le prendre.
Etre en congé parental, ce n'est pas toujours facile. La société nous renvoie une certaine image de nous. On nous dit : « tu es à la maison, tu as du temps, tu n'as que ça à faire ! » Je pense qu'il y a le regard de la société à changer, à faire évoluer sur le congé parental. »

Propos recueillis par Geneviève ROY