Edwige

« Le courage c'est de s'avouer faible et de dire qu'on a besoin d'aide ». Edwige Loiseaux sait de quoi elle parle. Il lui en a fallu – il lui en faut encore – du courage pour accepter le changement radical de vie imposé par un AVC survenu en août 2016.

Aujourd'hui, elle se reconstruit doucement loin du monde économique et social dans lequel elle avait fait carrière. « Je ne peux plus penser comme avant – dit-elle – c'est un autre monde ! »

Un monde dans lequel elle souhaite écrire – son premier roman est sorti voilà quelques mois – et se rendre utile auprès des autres personnes malades.

 

Tout semblait tracer pour Edwige Loiseaux. Directrice d'une structure d'accompagnement à la création d'entreprise, elle s'apprêtait à fêter ses trente ans de bons et loyaux services dans cette société rennaise ; mère de quatre enfants, elle avait bien accusé une petite crise de couple mais s'en était sortie. A cinquante ans, autour d'elle, on la disait forte et « insubmersible ».

« Non seulement, je suis totalement submersible – dit-elle aujourd'hui dans un rire – mais je peux couler profond ! » Même si elle reconnaît qu'il n'est pas au rendez-vous tous les jours, Edwige a gardé (ou retrouvé) son humour pour se moquer du « robot » qu'elle était devenue.

 

« Il y a la honte, la culpabilité...

jusqu'à ce qu'on commence à parler

de handicap invisible »

 

Sa vie a basculé un jour d'août 2016, alors qu'elle reprenait le travail après quatre semaines de vacances. En déplacement à Paris, elle s'écroule dans la rue, victime d'un AVC. Commence alors pour elle, et ses proches, une longue, très longue période de soins, de doutes, d'angoisse.

On la croit sortie d'affaire, mais elle reste vulnérable et ne comprend pas pourquoi. « Je n'avais toujours pas d'énergie, une fatigabilité énorme dès que je me concentrais et personne n'était en mesure de me dire ce que c'était. » Enfin, une consultation chez un spécialiste pose les mots sur ses maux. Une « reconnaissance du corps médical » qui soulage Edwige et lui permet d'entamer une rééducation adaptée au pôle Saint-Hélier à Rennes, un an de rééducation cognitive, d'entraînement à l'effort et à l'endurance.

edwigeloiseauxAujourd'hui, elle prévient d'emblée qu'elle peut encore bégayer parfois, chercher ses mots et qu'au bout d'une demi-heure elle a du mal à se concentrer. Mais, ajoute-t-elle, « je suis là ; je peux parler, je peux rire ! » Désormais, elle apprend « la pleine présence » et s'adapte à une vie plus lente où elle doit « s'écouter, se reposer, vivre dans un autre monde, hors productivité. »

Même pour ses proches, la vie n'est plus la même. Toute l'énergie qu'elle dépensait sans compter pour sa famille a disparu. « Pour mes enfants, c'était un peu un socle qui s'écroulait – se rappelle-t-elle – alors forcément il y a la honte, la culpabilité... jusqu'à ce qu'on mette un mot dessus et qu'on commence à parler de handicap invisible. »

 

« J'ai aujourd'hui

une connaissance de moi-même

(...) j'y ai mis un sens de l'existence »

 

Si Edwige sait qu'elle ne retrouvera jamais le poste à responsabilité qu'elle avait avant l'accident, elle envisage sa situation avec beaucoup de philosophie. « C'est une déflagration - dit-elle – mais c'est aussi une leçon de vie. On apprend à faire avec ses limites. Ça devait arriver pour me permettre de me dire : « Edwige, où vas-tu ? » Malgré toute la dureté de l'épreuve, j'ai aujourd'hui une connaissance de moi-même à laquelle je n'aurais pas eu accès autrement ; j'y ai mis un sens de l'existence ».

Dans son ancienne vie, Edwige accompagnait des porteur-ses de projets vers la création de leurs entreprises. Elle voit une analogie avec ce qu'elle veut vivre aujourd'hui avec d'autres malades. Son premier roman lui donne l'occasion d'aller à la rencontre des autres notamment au pôle Saint-Hélier où elle a commencé à se reconstruire. « Je voudrais que le chemin que j'ai fait permette à d'autres de faire leur propre chemin » dit-elle, désireuse d'être « utile » ; « de cette épreuve que j'ai vécue, qu'est-ce que j'en fait ? » s'interroge celle qui a déjà trouvé sa place au sein de l'association France-AVC35 parce qu'elle ne se « voit pas ne rien faire ».

« Ce sont des chemins d'acceptation, des chemins d'humilité ; quand vous vous êtes construite comme moi sur la performance, il y a tout un travail psychologique à faire ! – dit-elle encore – Et les liens avec les autres changent ; quand on vous a connue battante et qu'on vous voit légume sur pattes, ce n'est plus la même chose ! »

couvfecondesEdwige sait qu'elle fait peur à certain-es parce que ce qui lui est arrivé peut aussi leur arriver. « On passe par des phases de tristesse – analyse-t-elle – ça réinterroge les liens ; hors nos rôles, qui est-on ? Est-ce que les autres ne sont là que pour nous renvoyer une image positive de nous-mêmes ? »

 

« J'ai l'impression de vivre en parallèle,

de ne plus être

dans le grand truc économique »

 

Des questions qui nourrissent aussi son écriture. Elle qui s'exprimait plutôt par la musique - flûtiste au conservatoire de Rennes avant d'être « happée par la vie professionnelle et les maternités, quatre enfants en six ans » – s'est découvert une passion pour l'écrit. Son premier roman, débuté avant son accident, a été publié à l'automne dernier ; « ça m'a donné une légitimité – sourit-elle – il a toute une histoire ce livre ; il est avant, après, il existe ! » Il lui a redonné confiance en elle.

Trois ans et demi après son AVC, Edwige est sortie du dispositif d'accident du travail ; une nouvelle étape. Elle qui avait choisi comme titre de son premier roman « Fécondes ruptures » au pluriel croit y voir un signe. « Il faut accepter cet inconnu – déclare-t-elle – mais pas le remplir juste par peur de la vacuité. Des portes s'ouvrent mais je ne sais pas vers quoi. J'ai un peu l'impression de vivre en parallèle, de ne plus être dans le grand truc économique ; ce n'est plus mon monde... Je suis dans un autre monde !»

Geneviève ROY

Pour aller plus loin :
Lire Fécondes Ruptures de Edwige Loiseaux, éd. L'Harmattan, en vente en ligne (14 €)