La littérature dite de fantasy laisse peu de places aux femmes ; celle de science-fiction n'est semble-t-il pas beaucoup plus féministe. Toutes les deux ignorent largement les personnes LGBT. Pourtant ce qu'on appelle les genres de l'imaginaire devraient montrer l'exemple, étant par définition des lieux où tout est possible, où les mondes s'inventent et se réinventent avec de nouveaux codes.
A partir de ces constats pas très positifs, à l'occasion du mois de l'imaginaire à Rennes 2, Sabrina Calvo, écrivaine et dessinatrice, et Stéphanie Nicot, éditrice et directrice du festival Imaginales, ont apporté voilà quelques jours leurs propres témoignages - professionnels et personnels – au cours d'une table ronde intitulée « genres et identités dans les littératures de l'imaginaire ».
Sabrina Calvo en est convaincue « la science-fiction devrait être fer de lance du refus du totalitarisme de l'identité » et déplore-t-elle « ce n'est absolument pas le cas ! » Stéphanie Nicot, de son côté, décrit la fantasy comme un genre littéraire plutôt « traditionnel et machiste » et la science-fiction comme « assez conventionnelle dans les rapports humains » bien qu'elle explore des « possibles différents ».
Pas ou très peu de héros ou héroïnes LGBT dans les récits imaginaires ; le plus souvent les héros sont les mêmes que dans la majorité des autres œuvres littéraires, des « hommes blancs, hétérosexuels, de cinquante ans et de préférence catholiques » explique Stéphanie Nicot qui regrette : « c'est cette minorité qui est toujours visible ; elle occupe 95 voire 100% de l'espace littéraire ! »
« Ce sont d'abord des femmes
qui ont commencé
à déblayer les clichés anciens »
« Je m'amuse à dire que je suis une écrivaine transgenre, c'est-à-dire que je suis à travers plusieurs genres – dit encore Sabrina Calvo - Pour moi, la hiérarchie entre les genres n'existe pas, et la SF n'a pas su montrer ça ! » L'écrivaine joue avec le terme de « genre » désignant à la fois des styles de littérature et des identités d'auteur-e-s mais aussi de personnages. « J'ai peur de la stigmatisation – dit-elle – mais j'ai aussi peur de l'injonction ! »
Un avis partagé par Stéphanie Nicot : « si aujourd'hui des écrivain-e-s se permettent de mettre en avant des personnages gays, lesbiennes, bi ou trans, c'est parce qu'il y en a dans les milieux de la science-fiction ; c'est plus facile quand vous savez que votre directrice d'édition n'a pas de problème avec ça. Mais, pour l'incitation, je suis prudente ; on peut pousser les auteur-e-s à réfléchir mais il faut que ça vienne d'eux ! »
Et toutes deux se réjouissent que le changement vienne une fois encore des femmes. « Il y a de plus en plus de voix féminines aujourd'hui en fantasy. J'ai l'impression qu'enfin on arrive dans la nuance » s'enthousiasme Sabrina Calvo. Tandis que Stéphanie Nicot renchérit : « dans les années 70 aux Etats-Unis, ce sont d'abord des femmes qui ont commencé à déblayer les clichés anciens et en France, ça bouge désormais. (...) Au début de ma carrière quand je voyais une femme dans une convention SF je me demandais de qui elle était la compagne ; aujourd'hui, je me demande naturellement si c'est une autrice, une éditrice, une journaliste, bref, quel boulot elle fait. (...) Je pense que nos littératures doivent montrer l'exemple. Elles imaginent et brossent des mondes différents ; elles doivent pouvoir se permettre aussi d'imaginer un monde plus ouvert. Ce qui se passe en littérature donne quand même un signal à la société ».
« [Les transphobes],
on va les éradiquer jusqu'au dernier ! »
Les deux intervenantes de la table ronde ont outre leur intérêt pour la science-fiction un autre point commun ; elles sont toutes deux transgenres. Et ce n'est sans doute pas un hasard si elles ont ce regard plus aiguë sur la place des femmes et des personnes LGBT dans leur littérature de prédilection. « Quand j'ai fait ma transition, le milieu de la SF a été plutôt sympa - témoigne Stéphanie Nicot, aujourd'hui vice-présidente de la fédération nationale LGBTI - mais dans la société c'est plus compliqué ! » Quinze ans plus tard, on lui demande encore de raconter sa transition quand elle aurait envie d'ouvrir le débat sur les discriminations à l'embauche ou le fait qu'elle doive encore voyager avec des papiers où figure son prénom masculin.
« Une société doit vivre sereinement avec ses diversités » défend celle qui a tout de même dû s'imposer dans son travail. « Quand j'ai annoncé ma transition à mon directeur de l'époque – dit-elle – il m'a répondu : "super, je vais pouvoir te payer 20% de moins" et il l'a fait ! Et j'ai fermé ma gueule comme le font les femmes, comme le font toutes les minorités ! » Dans les genres littéraires comme ailleurs, estime-t-elle, contre les LGBTphobies, il faut être « intransigeant-e-s ». « J'ai estimé un moment que j'avais fait le travail et que les îlots de transphobie, je pouvais les tolérer ; c'est fini ça ! On va les éradiquer jusqu'au dernier ! » assène-t-elle sous les applaudissements de la salle du Tambour pleine à craquer.
« Pour moi, écrire
est un acte de santé mentale »
Sabrina Calvo avoue vivre une expérience de « privilégiée » depuis son coming-out l'an dernier : « pour l'instant, tout s'est très bien passé. Mes parents m'adorent, j'ai eu vingt ans pour construire ma carrière en tant qu'homme, mais je ne mesure pas les difficultés que peuvent avoir mes sœurs trans et mes frères trans qui n'ont pas le privilège d'être des artistes. Pour moi, écrire est un acte de santé mentale ; la SF a été extrêmement présente et solidaire ; j'ai notamment beaucoup de femmes autour de moi. »
Si elles reconnaissent l'une et l'autre avoir été plutôt soutenues par leur milieu professionnel, les anecdotes dont elles émaillent leurs propos montrent bien que ce n'est pas non plus le pays des Bisounours comme le souligne Stéphanie Nicot qui raconte comment parfois on préfère lui attribuer seulement l'initiale de son prénom parce qu'on « refuse de [la] reconnaître » telle qu'elle est vraiment : « certains continuent à m'appeler par mon prénom masculin dans leurs articles et quand Sabrina a reçu un prix dernièrement, il s'est trouvé quelques-uns de ces mâles pour crier son prénom d'avant ! C'est-à-dire pour l'insulter. Quelle violence ! Quelle haine ! De la part de gens qui accueillent les extraterrestres à bras ouverts ; allez comprendre ! »
Geneviève ROY