Tout part d'un constat : dans la culture comme partout ailleurs, plus on monte dans la hiérarchie et moins les femmes sont nombreuses.
En 2015, l'association HF Bretagne a confirmé dans une enquête les chiffres du célèbre rapport Reine Prat de 2006 et montré que la région Bretagne n'était pas meilleure à cet égard que le reste du territoire français.
A l'occasion des journées des droits des femmes la sociologue Caroline Ibos a répondu à l'invitation d'HF et a cherché à répondre à la question suivante : l'articulation entre la sphère privée et la sphère publique serait-elle encore plus difficile pour les artistes ?
Selon les enquêtes les plus récentes de l'INSEE, les femmes assument toujours entre 75 et 80% des tâches domestiques, familiales et parentales. Une fois posés ces chiffres, Caroline Ibos arrive à une première conclusion : une telle réalité a nécessairement des conséquences sur la carrière des femmes et plus encore sans doute, pense-t-elle, sur les carrières artistiques « extrêmement exigeantes ».
En effet, les inégalités entre les hommes et les femmes ne sont pas différentes pour les couples d'artistes, ou dont l'un des deux au moins est artiste, que pour les autres couples. Des études, montrent « le rôle majeur que jouent les conjointes dans les carrières des hommes artistes, dans la gestion à la fois de leur vie privée et professionnelle. » Pour ces femmes, explique Caroline Ibos, « la carrière d'artiste de leur mari est légitime et elles doivent y contribuer » quitte parfois à assurer seules les revenus du foyer « en attendant que le grand artiste soit reconnu dans toute sa grandeur ».
Lorsque la femme est artiste, la réalité est toute autre note encore la sociologue qui précise : « l'activité artistique de la femme est généralement considérée comme un passe-temps, un hobby compatible avec son statut de femme au foyer, comme un métier d'appoint. » Et plus encore si les deux sont artistes, c'est dans ce cas-là, dans la majorité des cas, « la femme qui efface sa carrière pour favoriser celle de son mari ».
Des contraintes qui pèsent sur les femmes
Une vie d'artiste, ça peut faire rêver. Mais il faut aussi considérer les contraintes qui y sont liées. Des contraintes souvent difficiles à ajuster avec ce que la société attend d'une femme – et plus encore d'une mère – en termes de disponibilité. Avec une temporalité différente faite de rythmes irréguliers, de travail en soirée, de déplacements fréquents et parfois prolongés, associée à une forme de précarité et un emploi du temps peu maîtrisable, comment préserver l'espace nécessaire entre temps public et temps privé ? « Ce n'est pas un temps flexible – explique Caroline Ibos – c 'est juste un temps qui déborde avec une indistinction entre la vie privée et la vie professionnelle, une contamination de la vie familiale par le travail. »
Pour beaucoup d'artistes, le lieu de travail, c'est la maison. Encore un inconvénient pour les femmes ; « le travail à la maison – poursuit la sociologue – est toujours défavorable aux personnes qui s'occupent des tâches domestiques et des enfants ; quand on est multitâche, on travaille moins et on travaille moins bien ! » Du coup, quand on est une vraie artiste, totalement portée par sa vocation, on se doit si on est une femme d'être éventuellement célibataire, en tout cas forcément sans enfant.
L'image de la muse et de la séductrice
Pas étonnant alors, que les carrières des femmes soient fortement impactées. Une enquête réalisée sur six ans sur des étudiant-e-s des écoles supérieures des Beaux-Arts montre qu'à diplôme égal, les filles choisissent bien plus que les garçons des emplois salariés précaires à la sortie de leurs études. Elles pratiquent ainsi une « sorte d'autocensure et un choix pour la sécurité de l'emploi au détriment d'une qualité de l'emploi par rapport à la formation suivie ». Les garçons, eux, choisissent plus souvent des carrières artistiques indépendantes ; même s'ils doivent « galérer pendant quelques années » ils refusent d'être des artistes à temps partiel.
Si les artistes femmes ont à cœur de trouver rapidement une façon de concilier vie privée et vie professionnelle, parfois au détriment de leur formation artistique, un autre facteur selon Caroline Ibos doit être pris en compte pour expliquer pourquoi cette conciliation est plus difficile pour elles que pour les hommes. Celui de l'érotisation de la femme comme muse, celle qui inspire l'artiste et n'est pas artiste elle-même. Un statut qui rend difficile l'entrée dans les réseaux qui feront émerger l'artiste, des réseaux très largement masculins.
« Dans les réseaux professionnels, non seulement il sera difficile pour une femme d'y entrer, sauf à accepter d'être dans des relations de séduction, mais encore plus difficile de s'y maintenir une fois que ces relations s'interrompent » explique Caroline Ibos. Prenant l'exemple d'un milieu très masculin, celui du jazz, elle cite une étude qui montre que « les femmes qui réussissent sont celles dont le mari est aussi musicien de jazz ». Et là, la confusion entre vie privée et vie professionnelle est à son comble ! « Une espèce de paradoxe et d'ambiguïté assez terrifiante et complètement contraire à l'émancipation des femmes » en conclut la sociologue.
Geneviève ROY