Elle est lumineuse Marwa Rochay. Elle semble sûre d'elle cette jeune femme de 36 ans à qui tout a réussi. Etudes, amours, performances sportives et reconnaissance professionnelle.
A regarder notre invitée de la rencontre Femmes en Chemin d'octobre, on oublierait presque les années d'exil qu'il a fallu traverser, les brimades et les interdits qui ont marqué son éducation, les addictions alimentaires qu'elle a appris à maîtriser.
Elle est lumineuse Marwa Rochay et son sourire éclaire les pans les plus sombres de son parcours quand elle dit cette vie de petite fille venue d'Irak « domestiquée » par un père « très imposant » qui surgit encore parfois dans ses cauchemars. Et quand elle dit la femme qu'elle est aujourd'hui en phase d'apaisement.
« Je viens d'une culture où la femme est inférieure à l'homme et j'ai grandi dans un conditionnement imposé par mon père ». Si aujourd'hui Marwa Rochay verbalise sans difficulté son enfance c'est grâce à un long travail entrepris avec des professionnel.le.s mais aussi seule, derrière l'écran de son ordinateur. Enfant, elle avait appris à s'évader par l'imagination, se rêvant libre et en sécurité ; devenue femme, c'est par l'écriture qu'elle a conjuré les vieux démons de la domestication qui l'avaient peu à peu privée de l'estime de soi. « J'ai vraiment eu cette sensation d'avoir été domestiquée comme on domestique un animal pour le rendre plus docile. J'avais un cadre pour grandir mais à l'intérieur de ce cadre j'étouffais, je suffoquais. »
L'histoire de l'exil de cette famille de quatre enfants, père militaire et mère soumise, qui erra durant des années de camps de réfugiés en camps de réfugiés et traversa huit pays avant d'arriver en Suisse et de s'y établir alors que le père retournait faire la guerre en Irak, fera peut-être un jour l'objet d'un autre livre que Marwa écrira pour achever son travail d'apaisement.
C'est d'abord en partant de la femme qu'elle est devenue, vivant en France, mariée à un Breton, cheffe d'entreprise et enseignante en école de commerce, qu'elle a cherché à répondre aux questions qui au fond d'elle creusaient un trou béant.
« Je voulais partager mon chemin vers la libération (...)
je n'étais pas du tout libérée »
En commençant à écrire "Marathon vers la liberté", Marwa avait un objectif : montrer qui elle était devenue. Malgré tout. Dire qu'il lui avait fallu ruser (avec la complicité de sa mère) pour apprendre à nager quand son père lui interdisait. Et qu'elle était fière, à trente ans, de se retrouver en maillot de bain, sans craindre de montrer son corps, dans cette piscine où elle s’entraînait pour participer à un triathlon. C'était ça qu'elle voulait dire : regardez comme je m'en suis bien sortie, voyez le chemin parcouru ! « Je voulais partager mon chemin vers la libération avant de réaliser qu'en fait, je n'étais pas du tout libérée »
Car en « plongeant dans l'écriture » Marwa prend conscience de bien autre chose. Elle comprend pourquoi il lui a fallu au fil des années tous ces défis relevés : études brillantes, carrière fulgurante, défis sportifs. Elle l'avoue aujourd'hui son premier marathon couru, il ne lui restait que de nombreuses courbatures mais aucune révélation. Elle s'était lancée dans la course espérant trouver des réponses à un certain mal-être, une mélancolie qui l'habitait et la laissait insatisfaite malgré ses réussites. Rien n'était arrivé au bout de la course. Alors se fut une autre course, une autre encore...au total huit marathons et même une course de 100 kilomètres qui à chaque fois la laissaient plus vide qu'avant.
Plutôt que de dire, et d’écrire, sa satisfaction d'être arrivée là où elle était alors, la jeune femme de trente ans comprit qu'elle devait chercher à résoudre une énigme : pourquoi ce besoin de montrer de quoi elle était capable ?
« Je cherchais des trophées
qui pouvaient me valider »
Lorsqu'elle écrit, très vite, trois mots apparaissent sur sa page : « je me déteste ». Et c'est son père qu'elle rend alors responsable de cette absence d'estime que la jeune femme a progressivement masquée par ses réussites. Parce qu'à ses yeux à lui elle n'était rien et n'avait aucune place, elle avait intégré qu'il lui faudrait beaucoup lutter pour prouver sa propre valeur. « Je cherchais des trophées qui pouvaient me valider ; je courais pour de mauvaises raisons ! Je peux continuer à courir des marathons ou des 100 kilomètres mais il n'y a pas de réponses au bout. C'est au jour le jour que je trouve la sérénité, le réconfort et la paix avec moi-même ! »
Aujourd'hui, la jeune femme a bien avancé sur ce chemin. Quand elle relit les premières versions de son livre, ce qui lui apparaît d'abord c'est toute la rancœur qui s'en dégage vis-à-vis de ce père injuste et autoritaire. Mais elle a appris que ce n'est pas la haine qui construit.
« J'ai compris que tant que je ne lâcherais pas cette colère que j'avais envers mon père, je n'arriverais jamais à me détacher et à guérir ; je le laissais encore prendre la main et me rendre malheureuse. J'ai accepté le fait que de toute façon mon père par sa culture ne pouvait pas m'offrir autre chose et qu'il fallait mettre de la distance entre nous. Je ne suis pas encore totalement apaisée ; je n'ai pas revu mon père depuis 2005, je ne lui ai pas parlé depuis 2012 et pourtant il hante encore parfois mes cauchemars. (...) Je ne suis pas à 100% du pardon mais j'ai déjà fait 80% du chemin. Le pardon ne veut pas dire qu'on efface ce qui a été mais qu'on lâche prise. En fait, je n'ai pas envie de nourrir ma colère parce que c'est elle qui me donne des pulsions qui ne sont pas bonnes pour moi. Donc, je lui pardonne mais pas pour lui, pour moi ».
D'ailleurs désormais Marwa ne court plus, elle marche. Sac à dos, elle part régulièrement sur le GR 34, face à cette mer qui lui apporte à la fois l'énergie et l'apaisement pour des randonnées méditatives, seule avec elle-même.
« Quand on court, on est toujours en train d'accumuler des kilomètres pour arriver à un objectif ; je crois que ça faisait écho à mon enfance, à notre parcours de réfugiés. J'étais encore dans la fuite. La course m'a permis de gagner en confiance en moi, de voir que j'étais capable de faire de grandes choses, mais maintenant j'apprends à ne pas fonder ma valeur dans ces accomplissements-là. Je continue à enlever les couches une par une et je laisse la vie me surprendre. J'aimerais recommencer à courir un jour, mais... pour de bonnes raisons ! »
Geneviève ROY
Pour aller plus loin :
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(Re)lire un autre article sur le même sujet : Mais pourquoi court-elle autant ? publié en mars 2023