Elles le disent et le redisent : elles ont l'impression de faire (bénévolement) le travail que des professionnel-le-s mettent une certaine « mauvaise volonté » à effectuer.
«Aujourd'hui plus personne ne prend le temps d'aller dénicher de nouveaux talents » déplore Eloïse Bouton rejoignant en cela les autres invitées de la table ronde proposée par HF Bretagne à l'occasion des Transmusicales 2018 à Rennes.
Elles ont créé des blogs, animent des réseaux, préparent des annuaires, autant d'initiatives associatives destinées à rendre un peu moins invisibles les femmes dans l'univers des musiques actuelles.
Ensemble, elles sont venues rappeler que la création artistique n'a pas de sexe et que lorsqu'on se donne la peine de chercher les femmes, elles sont là et souvent pleines de talents !
Pour la troisième édition de sa table ronde « les femmes haussent le son » à l'occasion des Transmusicales, HF Bretagne avait choisi de démontrer que les femmes sont (presque) là. Après l'édition de 2016 consacrée au constat de leur invisibilité et celle de 2017 sur quelques outils permettant de faire avancer les choses, HF a voulu pointer que si les femmes existent nombre de programmateurs les ignorent. Il faut pour elles recourir à des réseaux spécifiques pour parvenir à se faire voir et entendre.
Journaliste passionnée de culture hip-hop, Eloïse Bouton a créé Madame Rap en 2015. Ce qui devait au départ n'être qu'un tumblr est devenu un véritable média qui comptabilise aujourd'hui plus de 1300 rappeuses dans le monde entier.
« Je voulais juste recenser les rappeuses pour lutter contre deux préjugés majeurs : il n'y a pas de femmes dans le rap et c'est incompatible d'être féministe et d'aimer le hip-hop - explique la jeune femme – très vite beaucoup d'artistes m'ont contactée et j'ai décidé de faire des interviews puis d'aller chercher de nouvelles artistes, d'organiser des événements, etc. » Une manière d'affirmer : les femmes sont là et le talent n'a pas de sexe !
« Des prolétaires artistiques »
C'est le même désir de rendre les femmes visibles qui anime Marine de Bruyn quand elle rejoint le réseau She Said So France ou Aline Penitot, membre de Fair Play. La première insiste sur le besoin de « se retrouver, de s'identifier les unes les autres pour se sentir moins seules et pouvoir discuter » pour trouver ensemble des « clefs pour agir » et parle d'un « engrais pour que chacune ensuite puisse aller là où elle veut aller ».
La seconde évoque l'objectif de son réseau de « promouvoir les femmes dans le domaine de la création sonore et des musiques alternatives et expérimentales » « Les femmes du réseau sont totalement invisibles sur les radars, mais alors, sous les radars, ça envoie ! » plaisante-t-elle un brin provocatrice quand elle raconte comment Fair Play ose dire « non » aux programmateurs qui ne s'engagent pas sur un partenariat de longue durée visant à la parité dans les programmations.
Beaucoup de militantisme chez ces trois jeunes femmes et les autres qui poursuivent le même objectif dans ces associations ou d'autres lieux. « Les programmateurs ne font pas ce boulot » dénonce Aline Penitot (à droite sur la photo) tandis qu'Eloïse Bouton (à gauche) regrette leur « flemme absolue » quand il s'agit d'aller chercher de nouveaux talents. Elles ont l'impression de « faire leur travail à leur place » avec des moyens financiers réduits voire inexistants.
Elles accusent un « système » qui ne laisse pas leur place aux femmes sur scène mais aussi dans les métiers associés des musiques actuelles. « On est des prolétaires artistiques » dit encore Aline Penitot ; quant à Marine de Bruyn, elle renchérit : « on fait le taf pour eux, c'est pas du tout idéal mais ça nous permet de leur dire : tu ne trouves pas de femmes, pourtant regarde : j'ai plein de contacts à te donner ! »
Geneviève ROY