La subtilité et la finesse ne sont décidément pas son mode d'expression.
Quand elle a quelque chose à dire, elle ne s'encombre pas de périphrases et peut même parfois en rajouter dans le registre de l'énervement.
A l'occasion de son passage à Rennes, la Franco-Suisse Malou n'a pas laissé que de bons souvenirs. Peu lui importe, elle estime que c'est sa façon à elle de résister au système capitaliste !
Plus qu'une Suisse, plus qu'une Française (elle est un peu des deux) Malou Volkoff se présente comme Genevoise ; une identité à part entière. D'un côté de la frontière elle est kinésiologue et animatrice d'ateliers d'écriture ; de l'autre côté, elle est plutôt slameuse et conférencière. Attention, pas des conférences « chiantes » mais l'autre version, la gesticulée qui permet d'allier savoirs froids et savoirs chauds, c'est-à-dire la théorie et l'expérience.
Chez elle, c'est plutôt le chaud qui domine. Si quelques livres sont présentés sur scène et que quelques références d'auteurs jalonnent le propos, c'est surtout à son propre vécu que la conférencière fait appel pour décrire ce qu'elle nomme les « violences invisibles » qui appellent pour elle « une colère légitime ».
« L'individu seul ne peut pas aliéner un monde
mais un système peut aliéner des individus »
La colère qui semble l'animer en permanence a pour elle plusieurs origines qui se confondent et s'alimentent entre elles. C'est à la fois ses traits de caractères – elle se dit « sur-cohérente » et à « haut potentiel » - son éducation dans une famille dysfonctionnante – relations compliquées avec le père, sœur lourdement handicapée, mère longtemps malade puis décédée – et le système dans lequel elle évolue à contre-coeur qui pense-t-elle ont fait d'elle cette « femme vénère » qu'elle est aujourd'hui à 42 ans.
« Le capitalisme – argumente-t-elle – est la dissonance cognitive par excellence et dans un monde dissonant, c'est extrêmement dur de rester cohérent. Ce sont ces manques de cohérence qui viennent toucher chez moi quelque chose de fondamental. Ma façon de réagir est l'énervement et l’agressivité ; peut-être que d'autres vont trouver d'autres types de réaction ! »
Si Malou se défend de faire l'apologie de la violence, sur scène comme à la ville, elle défend l'idée qu'il existe des « violences acceptables » et prône l'instauration de la « violence défensive ». « La violence gratuite, physique ou verbale, sur les individus est absolument intolérable – assure-t-elle – mais la désobéissance civile devrait être légale ». Autrement dit quand un policier moleste un.e manifestant.e il se situe du côté de la violence d'Etat (inacceptable) ; quand le manifestant répond au policier, ça devient de la violence défensive (acceptable). « L'individu seul ne peut pas aliéner un monde mais un système peut aliéner des individus » résume-t-elle.
« Je pense que mes réactions sont légitimes
mais souvent disproportionnées »
Comme elle prévient d'emblée qu'elle est une femme énervée, Malou ne fait jamais dans la demi-mesure. Quand elle parle de violences subies, elle évoque le conflit qui l'a longtemps opposée à un ministère suisse qui lui devait un salaire mais aussi au dernier scandale en gare de Montparnasse parce qu'elle avait raté son train et qu'on tardait à lui modifier son billet. Quand elle veut s'affirmer féministe, elle ne peut s'empêcher un détour par le « transactivisme » qui pour elle menace tous les combats des femmes. Tout en n'oubliant pas d'égratigner au passage les adeptes de la communication non violente. Et tant pis si des spectateur-rices quittent la salle avant la fin de la conférence , choqué.es par ses propos. Malou ne semble pas y prêter beaucoup d'attention.
Peut-être consciente de la portée violente précisément de certains de ses propos sur scène ou énervée à l'idée qu'on ne la comprenne pas, elle tient pourtant à préciser le lendemain matin : « je ne suis pas transphobe, je suis anti-transactivisme ; pour moi, une femme biologique et une femme trans, ce n'est pas la même chose ! »
« Dans l'idéal – reconnaît-elle par ailleurs – je souhaiterais pouvoir exprimer ma colère aux autres en étant calme et sans le dire de façon hystérique. Pour le moment je n'y arrive pas, mais j'y travaille. Je pense que mes réactions sont légitimes mais souvent disproportionnées »
Elle n'y peut rien, dit-elle, c'est le crocodile qui sommeille en elle qui s'exprime ainsi. Parce qu'elle est « toujours vigilante » et qu'elle pense qu'elle court sans cesse « le risque de se faire agresser, mentir ou trahir », comme un crocodile qui ne dort que d'un œil au fond de son marigot, Malou garde une paupière soulevée au-dessus des eaux sablonneuses. « Je suis quelqu'un – dit-elle – qui a toujours vu le côté sombre des choses, le côté boueux de la vie et en même temps, je garde un œil ouvert sur le soleil et l'horizon ». En d'autres termes, elle se dit – et appelle chacun et chacune à le devenir également - une « pessimiste combative » parce que « c'est dur de croire en l'avenir, qu'il faut être lucide mais sans abandon ».
Malou est une femme de mots qui écrit depuis longtemps, depuis toujours peut-être ; en tout cas depuis que petite fille, elle voyageait dans les livres de la bibliothèque de l'école où elle passait des heures. Sans doute, « l'accroqueuse de mots » gagnerait-elle à les choisir avec plus de méticulosité et de rigueur afin d'être mieux comprise de celles et ceux qui l'entendent. Mais, on l'a bien senti, même dans cet exercice, elle ne trouve pas l'apaisement à ses colères.
« Ecrire n'apaise pas mon indignation – confesse-t-elle – Ça apaise juste mon envie d'étripage de la planète ; c'est un outil pour être encore dans la lutte ! »
Geneviève ROY