Jusqu'au 21 octobre, on fête la science en Ille-et-Vilaine. Pour cette nouvelle édition, le Village des Sciences à Rennes 2 proposait le week-end des 6 et 7 octobre plus de cinquante animations sur des sujets aussi divers que l'écologie, la robotique, l'archéologie et même la création artistique.
Deux stands ont particulièrement retenu notre attention : « genre et colonisation » et « femmes et sciences ».
Dans les deux cas, c'est du côté de la biologie qu'il convient de chercher les arguments pour lutter contre les stéréotypes.
Eva est étudiante en troisième année à l'INSA, filière génie civil et urbain ; elle se destine à un travail dans la construction et si possible les énergies durables. Bonne élève jusqu'en classe de Terminale, elle rêvait plutôt d'architecture jusqu'à sa rencontre avec l'école d'ingénieur-e-s de Rennes qui explique-t-elle « mène une communication externe assez conséquente » pour attirer les filles. « Le 50/50 féminin masculin dans l'école ; ils vont le chercher ! » s'amuse-t-elle. Et les résultats sont là : à peine 25 % de filles voilà quatre ans et aujourd'hui, selon les filières, entre 35 et 45 %. « C'est en génie civil, matériaux et mécanique, que les filles sont les plus nombreuses – détaille l'étudiante – elles manquent en électronique et en informatique, ce dernier domaine étant celui où les stéréotypes genrés sont les plus puissants et où le sexisme est encore très présent notamment dans les entreprises ».
Pour permettre une meilleure intégration des filles à l'INSA et lutter contre cette culture machiste dans certaines professions, les futures ingénieures ont trouvé une solution : les INSAtisfait-e-s . L'association créée voilà un an et demi est cette année animée par Eva et quatre autres étudiant-e-s ; « on est cinq dans le bureau restreint : Corentin et quatre filles ! » sourit la jeune femme qui estime que les garçons y ont toute leur place. Premier travail des INSAtisfait-e-s au sein du campus de l'INSA : lutter contre les « blagues potaches » qui aussi inoffensives paraissent-elles peuvent plomber l'ambiance d'une journée d'étude.
« A 1 ou 2 % près,
les femmes et les hommes
obtiennent les mêmes résultats »
« L'idée est partie d'un ras le bol des remarques ordinaires qui ne sont peut-être pas méchantes mais deviennent vite pesantes » explique Eva. Avec ses ami-e-s, elle fait ce qu'elle appelle « de la vulgarisation féministe ». Et ça marche, se réjouit-elle. De plus en plus souvent à l'INSA, les « blagueurs » trouvent quelqu'un sur leur chemin pour leur faire remarquer qu'un tel comportement n'est «pas très INSAtisfait-e-s » ! Ou des mains forment le petit logo de l'association (deux mains jointes) et tout le monde comprend. « On redéfinit des termes comme harcèlement de rue, viol, misogynie – explique encore Eva – et on fait beaucoup de campagnes d'affichage ».
A l'occasion du Festival des Sciences, les INSAtisfait-e-s ont enfourché leur deuxième cheval de bataille : la reconnaissance de la place des femmes dans les sciences. « Quand on demande aux gens de nous citer trois femmes scientifiques, ils connaissent tous Marie Curie et puis ça s'arrête là » regrette Eva qui ajoute : « c'est vraiment un problème parce que des femmes scientifiques, il y en a eu plein ! ».
A l'aide d'un petit quizz sur la place des femmes dans la société, le public prend peu à peu conscience qu'un cerveau n'a pas de sexe. « A 1 ou 2 % près, les femmes et les hommes obtiennent les mêmes résultats au quizz » dit encore Eva qui pourtant constate que les stéréotypes sont toujours présents.
Et c'est très difficile d'en sortir, pense-t-elle, « puisqu'on a fait en sorte qu'ils soient légitimés par la biologie ! Du coup, c'est parait normal de penser qu'une femme sera moins bonne en sciences et donc de décourager les filles d'aller dans des filières trop techniques ou trop scientifiques ».
« La construction de l'altérité en fonction du genre
ou de la couleur de peau
a pris d'autres formes »
Au stand voisin, Caroline Ibos et ses collègues (chercheures et étudiantes en Sciences Politiques) font le même constat. En matière de races, on a fait dire à la biologie ce que la société voulait entendre. « L'usage du mot race en biologie est postérieur à son usage dans la société – analyse l'universitaire – Bien sûr, les races biologiquement n'existent pas, mais dans la construction des rapports sociaux, elles existent depuis la colonisation. La question est réglée du point de vue biologique, mais pas du point de vue social. »
Les projets de recherche présentés au Village des Sciences analysent deux formes de rapports entre les personnes, les rapports de sexe et les rapports de race, qui aboutissent toutes deux à des rapports de domination et de pouvoir, à la « distribution des rôles selon le genre et selon l'origine ethnique ». Pour permettre la réflexion, on peut consulter des objets « liés à la culture ordinaire » : livres, bandes dessinées, albums pour enfants.
Et si le public se réjouit que les choses aient changé depuis les Tintin des années 40 ou les Martine des années 50, les autres publications ou encore le webdocumentaire présentés sur le stand lui rappellent que « la construction de l'altérité en fonction de la couleur de la peau ou en fonction du genre a peut-être pris d'autres formes - comme le black face par exemple - mais qu'elle n'a pas pour autant disparu. » Au mot « genre », les visiteur-se-s frémissent souvent.
« C'est intéressant de voir - constate encore Caroline Ibos – que souvent les gens ne savent pas définir le féminisme, mais pour eux, c'est quelque chose de négatif. Les connaissances communes sont très faibles sur ces questions-là, plus faibles que sur ce qu'on montre aux stands d'écologie ou de physique ! »
Sous les posters d'Ada Lovelace ou de Jane Goodall, Eva et ses ami-e-s INSAtisfait-e-s sont confiant-e-s. « Chez les élèves de primaire [reçus le vendredi en animations destinées aux écoles – ndlr] les stéréotypes genrés ne sont pas encore intégrés. Ils trouvent complètement absurde de penser qu'une fille n'aura pas le sens de l'orientation ou qu'un gars sera meilleur en mathématiques » se réjouit l'étudiante.
Pour elle, l'avenir s'annonce bien. « Il y a deux ans, j'ai fait un stage de quatre semaines sur le chantier du garage-atelier de la nouvelle ligne de métro à Saint-Jacques. J'étais la seule fille ouvrière pour la voirie et il n'y avait qu'une seule fille pour le bâtiment sur sept corps de métiers présents. Mais ça va venir petit à petit. Chaque année, il y a 10 000 filles supplémentaires en apprentissage, soit à peu près 10 % des apprenti-e-s dans le bâtiment. Je ne vois pas pourquoi les filles pourraient faire de la boulangerie et pas du ciment ! »
Geneviève ROY
Le Festival des Sciences n'est pas fini, des animations sont encore au programme ! On notera par exemple à Rennes 1 la présentation des peintures de Mathurin Méheut et Yvonne Jean-Haffen le mardi 16 octobre ou encore la projection de courts métrages le jeudi 18 ; des sorties mycologiques en forêt de Rennes les samedi 20 et dimanche 21 ; une expérience immersive en 3D à Saint-Malo le samedi 20 ; la découverte du site mégalithique de Saint-Just le 20, etc.
Pour connaître tout le programme de cette dernière semaine, se reporter au site de l'Espace des Sciences.