La cuisine pour Anouck Méléard-Soller, c'est presque une histoire d'amour. En tout cas, c'est un partage. « C'est prendre et donner » dit-elle.
La Rennaise y est arrivée par des chemins détournés et est aujourd'hui l'une des 500 cheffes françaises recensées dans un guide visant à valoriser la place des femmes dans un milieu professionnel encore très – trop - masculin.
Ce week-end, elle sera au festival Dangereuses Lectrices pour témoigner.
C'était il y a près de dix ans. Anouck Méléard-Soller savait que ses études de philosophie, qu'elle avait d'ailleurs beaucoup aimées, lui ouvriraient peu de débouchés professionnels. Alors, à 23 ans, elle s'est lancé dans cette formation qu'on lui avait refusée à l'adolescence. « J'ai toujours eu envie de faire de la cuisine – avoue-t-elle – en troisième c'était mon choix d'orientation, mais on ne m'en a pas laissé la possibilité ». Parce qu'elle est une « bonne élève », elle doit faire un lycée général. Des années plus tard, ce ne sera pas l'école hôtelière de Dinard dont elle rêvait mais la voie de l'apprentissage – en cuisine d'abord puis en pâtisserie – qui lui permettra de réaliser son rêve.
« Il y a une certaine culture
de la difficulté du métier
qui fait partie du système »
« Quand j'ai commencé mon apprentissage, j'ai très vite été mise en garde parce que j'étais une fille » dit-elle encore. Et de préciser : « une fille et pas une femme, alors que j'étais largement adulte ! » On lui dit que « ça va être difficile pour [elle] » mais Anouck ne se laisse pas impressionner. Elle connaît le milieu pour avoir durant toutes ses études enchaînés les petits boulots en restauration. « Je me rendais compte des conditions de travail qui allaient m'être imposées » reconnaît celle qui pense surtout que son principal handicap tient dans « [son] retard en termes de connaissances et de pratiques par rapport à la plupart des gens qui commencent à seize ans ! »
Pourtant, la jeune femme ne « regrette rien » de ce parcours et se sent « suffisamment armée » pour affronter un milieu où, estime-t-elle, « il y a une certaine culture de la difficulté du métier qui fait partie du système ; pour être bon, il faut en chier, sinon ça veut dire que tu ne fais pas bien ton travail !».
Mais Anouck en a connu d'autres. Dans le milieu de la musique punk, notamment, elle a vu « ces systèmes de domination et d'oppression se mettre en œuvre et des nanas se faire bacher parce qu'elles avaient décidé de prendre les codes à leur compte ».
Là aussi, dit-elle, « il y avait zéro identification possible avec des femmes, il fallait chercher pour trouver des modèles ». Elle se dit « c'est juste le système qui se répète encore une fois ; c'est malheureux mais je suis capable de l'encaisser ! »
« J'adore mon métier
mais quand j'entends parler de métier-passion,
je trouve que c'est une belle arnaque ! »
Après différentes expériences en France et en Australie, Anouck revient à Rennes avec l'envie de « retrouver des valeurs » importantes pour elle, l'alimentation saine et durable en particulier. « J'avais beaucoup appris – dit-elle – mais en faisant pas mal de sacrifices, j'avais envie d'aller vers quelque chose de plus humain, de plus doux. » Devenue maman, elle entend davantage « respecter [ses] besoins ». Depuis plus de deux ans, elle est cheffe du Café Albertine.
Des femmes cheffes de cuisine, encore une exception en France ? Sans doute puisqu'un guide vient de sortir pour recenser les principales. Pourtant, « les femmes ont toujours été en cuisine et ont inspiré des générations de cuisiniers » dit Anouck Méléard-Soller, qui nuance avec humour : « mais à la maison, en travail non rémunéré bien sûr ! » A l'exception note-t-elle des « mères Lyonnaises » connues justement sous cette appellation qui renvoie une fois encore à la « nourricière et non pas à la créatrice ».
Anouck apprécie l'initiative de ce guide qu'elle voit comme une reconnaissance. « On est reconnues comme des cuisinières à part entière ; ça fait plaisir et ça légitime ce qu'on fait » analyse-t-elle. Et de se réjouir de cette place de plus en plus importante occupée par les femmes aux fourneaux. « Ça va forcément amener de nouvelles pratiques, un nouveau souffle et un nouveau regard » pense celle qui considère que le monde de la restauration souffre encore beaucoup de conditions de travail injustes et inégalitaires. Raisons pour lesquelles, selon elle, il connaît actuellement une grave crise de recrutement, avec « beaucoup de souffrances » et une convention collective « qui n'aide pas ».
« J'adore mon métier – dit-elle – mais quand j'entends parler de métier passion, je trouve que c'est une belle arnaque ! » Pour elle le « nouvel élan féminin » devrait permettre des avancées sociales dans un milieu qui déjà montre de belles évolutions et des pratiques plus justes. C'est là-dessus que la jeune cheffe attend beaucoup des femmes en cuisine ; pour le reste, elle en est persuadée, on ne cuisine pas différemment qu'on soit homme ou femme. « Ce qu'il faut c'est aimer la bouffe – dit-elle – et quand on a l'assiette devant soi, on ne sait pas qui l'a préparée. »
« L'alimentation : vecteur de rencontre,
d'ouverture et de partage »
L'essentiel est dans le partage. « Cuisiner – dit-elle encore – c'est aimer le vivant. On prend, on transforme et ensuite on offre. Il y a un acte de création, mais c'est quand même le produit qui est à la base. La création, quelquefois, c'est un terme un peu pompeux ; ça reste une assiette qu'on mange rapidement et je crois qu'il faut garder la mesure des choses ! »
Sa générosité, Anouck l'exprime dans sa cuisine, mais aussi sur le terrain des solidarités. C'est grâce à elle et une de ses amies que la ville de Rennes a pu en 2019 organiser une étape du Refugee Food Festival, une initiative internationale née à Paris et destinée à mettre en valeur les talents de chef-fes réfugié-es. Au programme : « l'alimentation comme vecteur de rencontre et de sensibilisation à la cause » des personnes réfugiées mais aussi « un moment de fête, d'ouverture culinaire et de partage » comme sait les apprécier Anouck.
La deuxième édition n'a pu avoir lieu en juin dernier pour cause de pandémie ; elle sera remplacée par une "micro édition" de trois jours en octobre, en espérant que dès le mois de juin 2021 le RFF reprenne sa forme initiale à Rennes et dans toutes les autres villes de France ou de l'étranger qui participent.
Geneviève ROY
Pour aller plus loin :
Anouck Méléard-Soller sera présente dimanche 27 septembre au festival Dangereuses Lectrices aux Ateliers du Vent à Rennes pour une table ronde à 14h avec Estérelle Payani co-autrice du guide « Cheffes, 500 femmes qui font la différence dans les cuisines de France » avec Vérane Frédiani.
le Refugee Food Festival aura lieu à Rennes du 16 au 19 octobre prochain