Depuis le 22 juin, sur l'Agrocampus de Rennes, on ne parle plus du bâtiment 15 ; désormais les unités de génétique et de production animale sont hébergées dans le bâtiment Rosalind Franklin.
La concrétisation du projet de féminiser les noms de salles et bâtiments sur le campus de l'école d'agronomie rennaise, initié par le club SHEEH, n'est que le début d'une nouvelle histoire. Les étudiantes engagées dans ce club pour l'égalité des genres, ont encore « beaucoup d'autres noms en réserve » et de nombreuses idées pour sensibiliser les élèves.
Rencontre avec Sara et Julie, deux présidentes (ex et actuelle) hyper motivées.
Parmi les étudiant.es de l'école supérieure nationale d'agronomie de Rennes, on compte 70% d'étudiantes. Et cette proportion se retrouve dans le corps professoral constitué de 70% de femmes comme dans les services administratifs. Pourtant, les nombreux bâtiments et encore plus nombreuses salles de ce gigantesque campus, où se forment de futur.es ingénieur.es en agronomie et en agroalimentaire, portaient tous jusqu'à maintenant des noms d'hommes (anciens directeurs notamment) ou de simples numéros.
Montrer toujours plus de modèles
Créé en mars 2020, le club SHEEH (prononcer ché) engagé pour l'égalité des genres a fait de ce constat son cheval de bataille. Et vient de voir se concrétiser son désir de féminiser ce lieu d'études. « Aujourd'hui c'est l'inauguration d'un bâtiment et d'une salle – commente Sara Ferette, co-fondatrice et première présidente du club – mais dans l'avenir nous voulons atteindre la parité ».
Un souhait partagé puisque l'administration de l'école et nombre de professeur.es ont spontanément apporté leur soutien au projet. Le 22 juin, au moment de dévoiler les deux nouvelles plaques gravées aux noms de Rosalind Franklin et Temple Grandin, était ainsi rappelé et valorisé le travail collaboratif qui avait permis cette réalisation.
« Dans nos cours comme dans nos manuels, on trouve très peu de femmes – a rappelé Sara Ferette dans son discours inaugural – pourtant elles ont contribué et contribuent toujours à la science ». Les deux premiers noms n'ont pas été choisis au hasard. Si Rosalind Franklin a contribué à la découverte de la double hélice de l'ADN, découverte dont elle fut longtemps spoliée au profit de collègues masculins, Temple Grandin est connue comme pionnière dans la prise en compte du bien-être animal dans l'élevage. Des valeurs qu'entend défendre l'Agrocampus de Rennes.
Julie Larivière, présidente actuelle du club, attribue la féminisation des filières agronomiques au fait que les étudiant.es proviennent largement des filières d'études biologiques elles-mêmes très féminisées. Malgré cette forte présence de filles, la mise en valeur de modèles reste intéressante pour les deux jeunes femmes qui y voient une manière de dire « on peut aller plus loin ». Elles évoquent toutes deux cette disparition des femmes entre les études, fortement féminisées, et le monde professionnel où ce sont les hommes qui obtiennent les meilleurs postes.
Un « travail sérieux » à l'esprit ludique
Sara s'apprête à quitter l'Agrocampus. En troisième année d'études, elle est actuellement en stage au service marketing d'une grande marque de yaourts et à l'automne prochain, elle cherchera un emploi. La jeune femme, venue de région parisienne, était là au début de l'aventure. « Ma première année – dit-elle – il n'y avait rien et on a commencé à discuter sur ces sujets de l'égalité. » Le petit groupe du départ d'une quinzaine d'étudiant.es grandit peu à peu et l'an dernier naît le club SHEEH inspiré par le He For She d'Emma Watson. « C'est le miroir entre she (elle en anglais) et he (lui) » explique encore Sara qui tout en revendiquant le féminisme du club insiste sur la volonté des fondateurs et fondatrices d'en faire un lieu mixte pour « ramener les hommes dans le combat ».
Parmi les très nombreux clubs et associations proposés sur le campus d'Agro Ouest, SHEEH est notoirement le « plus engagé ». Certes, le covid qui s'est invité dès les prémices, a empêché les étudiant.es de concrétiser tous les objectifs fixés. Néanmoins, le club a notamment pu mettre en œuvre la semaine de l'égalité des genres dont deux éditions ont déjà eu lieu en mars et une journée de la jupe très suivie par les jeunes, filles et garçons, et très remarquée par les enseignant.es, ou encore organiser une collecte de protections hygiéniques avec l'association Bulles Solidaires.
L'ancienne et la nouvelle présidente partagent l'envie de concilier le « travail sérieux avec des personnes compétentes » comme les conférences et le « côté un peu ludique » très prisé par le monde étudiant. « Le format interactif permet davantage de faire changer les choses » plaident-elles.
De « bonnes idées » à exporter
En attendant, le club prend ses marques et devrait devenir association pour consolider son statut. Depuis peu, il a rejoint le Plan d'égalité professionnelle mis en place par l'Institut Agro qui regroupe les campus de Rennes, Dijon et Montpellier et s'apprête à signer une Charte d'engagement destinée à poursuivre la réflexion sur la féminisation des noms. « On voudrait ajouter cet axe au plan d'égalité – développe Julie – pour que ce ne soit pas que le projet de Rennes mais que ce soit repris par les autres écoles. »
De même elle espère créer des envies chez d'autres étudiant.es comme ceux et celles d'Agro Sup Dijon qui viennent de créer leur groupe. Pour elle, SHEEH est « une avancée pour Agro Campus Ouest mais aussi pour d'autres écoles ». « On a de bonnes idées qui peuvent marcher ailleurs ! » disent encore Sara et Julie.
Le club est aujourd'hui très présent sur les réseaux sociaux que Julie veut utiliser pour diffuser informations et événements locaux sur l'égalité. Il a aussi été sollicité par un groupe d'écoute et de soutien, déjà implanté sur le campus, désireux de développer ses actions à l'intention des étudiant.es victimes ou témoins d'actes sexistes.
Mais le gros chantier pour encore quelques années reste la féminisation des noms. Les travaux en cours sur le site de l'école d'agronomie ouvrent le champ des possibles. De nombreux bâtiments, de nouvelles salles devront être (re)baptisé.es. Pas de problèmes, les élèves de SHEEH ont déjà de nombreuses propositions à faire.
Sara et Julie l'avouent, elles connaissaient déjà Rosalind Franklin mais n'avaient jamais entendu parler de Temple Grandin. Grâce aux recherches engagées, elles ont découvert bien d'autres femmes de sciences à mettre à l'honneur comme Ada Lovelace ou Rachel Carson. Elles pensent aussi aux anciennes élèves de l'école de Rennes comme la résistante Claire Girard ou encore la navigatrice Isabelle Autissier aujourd'hui présidente de WWF France. « Il faut – disent-elles – redonner aux femmes la place qu'elles devraient avoir ».
Geneviève ROY