Amel Hadjadj a participé à la fondation du Journal Féministe Algérien et c'est bien en sa qualité de militante féministe qu'elle était invitée dernièrement à Rennes par l'association du Jumelage Rennes-Sétif.
L'occasion de découvrir que si les luttes pour les droits des femmes ne sont pas nouvelles en Algérie, les mouvements actuels sont plutôt actifs et les jeunes générations motivées.
Les revendications sont diverses sur de nombreuses questions de société, de l'abrogation du code de la famille à la question des violences ou encore au droit de vivre seule pour les femmes célibataires.
Pour Amel Hadjadj, « la société malgré son conservatisme avance plus vite que les lois ».
C'est par la politique que Amel Hadjadj est arrivée au féminisme. Née à Constantine, elle est étudiante en fac de médecine et milite dans un parti clandestin d'extrême-gauche lorsqu'elle commence à fréquenter un « collectif hyper secret » qui organise discussions et ciné-débats. A l'occasion d'un sit-in dénonçant les féminicides, elle se retrouve en photo à la Une de la presse locale. Son premier réflexe, raconte-t-elle aujourd'hui en riant, est d'acheter elle-même tous les journaux du quartier pour éviter que ses parents ne tombent dessus.
Pourtant, reconnaît-elle elle a grandi dans une famille « très cool par rapport à la moyenne de la société ». Mais s'opposer au régime politique en place reste dans les années 2010 un acte difficile à assumer pour une jeune algérienne. La jeune femme décide donc, à l'instar de nombre d'autres filles de sa génération, de s'installer à Alger, l'anonymat étant plus facile dans la capitale.
C'est là que débute véritablement son engagement féministe. Elle rejoint un collectif encore assez secret qui deviendra plus visible en 2019. Ce groupe sera à l'origine du Journal Féministe Algérien qui permet via les réseaux sociaux de tisser un lien entre les femmes à travers le pays. Dès ce moment, assure-t-elle, les femmes algériennes développent une « volonté intergénérationnelle de se rencontrer et de s'organiser pour proposer leur propre projet économique et politique qui ne les exclut pas ».
La guerre de Libération :
des poseuses de bombes
qui risquent leur vie
Qu'elles se définissent comme féministes ou non, les femmes algériennes ont toujours été présentes dans les débats de société et la revendication de leurs droits. A commencer par celles qui font aujourd'hui figure de modèles et qui luttèrent dès le milieu du XIXème siècle contre la colonisation ou le mariage forcé. Amel Hadjadj et ses camarades ont à cœur aujourd'hui de mettre en avant toute cette histoire nationale dans laquelle s'ancre les luttes des femmes.
En Algérie comme ailleurs, « l'Histoire a été écrite par des hommes » regrette-t-elle ; et en Algérie plus qu'ailleurs peut-être les archives manquent cruellement pour rendre visibles les femmes qui ont lutté. On ne connaît finalement que six ou sept d'entre elles, déplore la militante, pourtant, avant même d'être reconnues comme citoyennes, elles ont su s'organiser. « Les femmes poseuses de bombe ou celles qui transportaient les armes durant la guerre de Libération ont pris des risques énormes – détaille-t-elle – mais dans nos écoles, malheureusement, on n'en entend jamais parler ! »
Elle rappelle encore que dès 1947 est créée la première association de femmes en Algérie. Puis que le 8 mars 1965 l'Union Nationale des Femmes Algériennes organise la première manifestation de femmes. Ce qu'elles demandent alors c'est tout simplement le droit de travailler alors qu'elles ne sont que 3% à avoir un emploi rémunéré et ne peuvent exercer que dans deux secteurs, la santé et l'enseignement. Le droit au travail et la scolarisation des filles seront les deux revendications principales des femmes algériennes jusque dans les années 80.
Les années 90 :
dix ans perdus
dans l'histoire des femmes
A partir de 1984, l'abrogation du code de la famille vient s'ajouter aux revendications des femmes et reste aujourd'hui encore un combat prioritaire. « On l'appelle – précise Amel Hadjadj – le code de l'infamie ! » Alors que le pays semble progresser sur les plans économiques ou culturels, ce code annonce une régression de la société. « Les constitutions parlent toutes d'égalité – souligne Amel Hadjadj – si on est égaux pour les droits économiques ou culturels, pourquoi ne le serions-nous pas pour les droits civils ? » Pourquoi par exemple une femme divorcée perdrait la garde de ses enfants en cas de remariage ? L'article évoqué ici suffit selon la jeune femme à résumer les discriminations contenues dans ce texte.
Les années 90 et le terrorisme qui sévit alors en Algérie recouvrent tout d'un voile sombre. « Tous les moments violents nous retardent – analyse la militante du XXIème siècle – on aurait pu être dans la continuité au sein des anciennes associations, vivre la transmission nécessaire, ne pas avoir à recommencer à zéro ». Pour elle, cette période marque une rupture profonde qu'il est toujours difficile de combler. De nombreuses associations actives auparavant ont disparu, des militantes sont parties vivre en France. Au début des années 2000 « le mouvement féministe sort complètement meurtri » et revient le temps de la clandestinité. Ce sont « dix ans perdus dans l'histoire » des femmes.
Il faudra attendre, dit-elle, jusqu'en 2015 à peu près et la « force des réseaux sociaux » pour permettre de recréer « une dynamique entre l'ancienne et la nouvelle générations ». Avec des combats récurrents et d'autres émergents. Si les collectifs actuels mettent en avant leurs propres revendications, ils ont aussi épousé les causes plus anciennes, en particulier, le code de la famille. Il est désormais impensable par exemple de ne pas associer aux luttes féministes celles pour les droits LGBT ; s'il faut continuer à lutter pour l'égalité au travail, on doit aussi s'attaquer au harcèlement, aux violences, permettre aux femmes célibataires de pouvoir vivre seules.
Le 21ème siècle :
une société qui vit
sa propre transformation
« Personnellement – reconnaît Amel Hadjadj – quand j'ai décidé d'habiter seule, une semaine avant je pensais que c'était impossible » Il lui a fallu de la détermination, elle a dû déménager six fois mais affirme que si les femmes subissent toujours des pressions, elles parviennent aussi à contourner les obstacles en se cachant notamment derrière la crise économique qui les oblige souvent à aller vivre en ville. Comme les autres, pense-t-elle, cette « lutte spécifique » finira par aboutir. « C'est en train de changer petit à petit dans toutes les régions – dit-elle – dans une société qui vit sa propre transformation ».
Aujourd'hui, les femmes sont là, décidées à s'imposer. « A combien de reprises nous a-t-on dit que ce n'était pas le moment ? » s'interroge Amel Hadjadj évoquant les différentes crises : la colonisation, l'Indépendance, les années 90. « On a eu – dit-elle encore – des acquis sur la santé maternelle, la scolarisation ; les femmes sont de plus en plus nombreuses dans l'espace public, dans le sport, le cinéma, etc. mais ce n'est pas suffisant et on a toujours le risque de perdre nos acquis. »
Elles ont bravé les critiques, les menaces parfois parce que dit-elle « des femmes qui s'organisent ça fait peur et ça dérange » ; elles ont appris de leurs expériences et découvert « qu'il n'y a pas un féminisme mais des féminismes ».
Amel Hadjadj est aujourd'hui optimiste et se réjouit notamment d'une action en cours qui permet de rassembler des femmes sur tout le territoire. « C'est une sorte de caravane de sensibilisation et de formation » explique-t-elle qui se déplace dans les différentes régions pour aider les femmes à s'organiser localement. « Il y a énormément d'énergie – s'enthousiasme-t-elle – les femmes algériennes sont en mouvement partout, dans toutes leurs diversités et à travers toutes leurs différences ».
Geneviève ROY