Impression de confusion à l'issue de la conférence sur l'égalité femmes/hommes de l'EHESP. D'un côté des chiffres qui parlent d'eux-mêmes. Le milieu hospitalier est un monde hyper féminin et pourtant les postes de la hiérarchie sont très majoritairement masculins.
De l'autre côté une partie des professionnel-le-s plutôt résigné-e-s qui prônent l'attentisme. Tout ça devrait changer un jour, plus tard...
Une frustration qui ne pouvait pas rester inexpliquée. Dialoguer avec quelques membres de la petite équipe de préparation, toutes étudiantes de la promotion Hippocrate et futures directrices d'hôpital, a permis de comprendre que dans ce monde-là plus qu'ailleurs, les inégalités ont encore de beaux jours. A moins que...
La mixité des métiers à l'hôpital pose problème. A plus de 90% les sages-femmes, aides-soignantes et infirmières sont des femmes. En revanche, dans la filière technique les postes sont occupés à 70% par des hommes. Quant aux responsabilités, il est intéressant de noter qu'alors que les femmes remplissent à près de 70% les amphis des fac de médecine, elles ne sont plus que 19% aux postes de professeurs des universités et praticiens hospitaliers. Et plus de 80% des chefs d'établissements sont des hommes.
En énonçant ces chiffres, les élèves directrices d'hôpital de la promotion Hippocrate de l'EHESP évoquent les inévitables « plafond de verre » et autre « plancher collant ». Concernant leur propre formation, elles précisent « la profession s'est féminisée tardivement ; la parité n'a été atteinte dans les promotions qu'en 2009 ». Excellente idée donc, se dit-on, de choisir ce thème des inégalités femmes/hommes à l'hôpital pour une table ronde qui réunit plus de 120 personnes dans le public, preuve que le sujet intéresse.
Lancer la réflexion, c'est déjà bien !
Pourtant, au cours des différentes interventions et des débats, l'enthousiasme retombe. Quand à la question du sexisme et de « l'humour parfois douteux » du monde hospitalier, un étudiant prêche une certaine tolérance de la part des hiérarchies. Quand un autre étudiant s'indigne de l'éternelle « tradition carabine » et que c'est une femme (professeure, trente ans d'expérience) qui soutient que « les filles doivent savoir rester à leur place » ! On en vient presque à se prendre de compassion pour Annaïck Morvan, déléguée régionale aux droits des femmes et à l'égalité, qui se voit obliger avant toute chose de réagir au tonitruant « les femmes et les hommes ne seront jamais égaux » prononcé peu avant sur l'estrade par sa voisine.
« On peut comprendre que ça surprenne » reconnaissent Marie, Estelle et Charlotte du groupe de pilotage de la conférence qui estiment qu'il « faut prendre son élan pour parler d'égalité professionnelle à l'hôpital ». Pourtant, elles affichent une certaine satisfaction. « Ce qu'on voulait c'était sensibiliser et faire réfléchir, on est contentes parce que les gens sont venus, ils ont réfléchi et participé. » « La réflexion est lancée ; pour nous, le pari est gagné » se réjouit même Charlotte.
Et pour Marie, qui se présente comme féministe militante, aucune surprise dans le déroulement des débats. « On a travaillé préalablement avec nos intervenant-e-s, on savait quelles étaient leurs positions » dit-elle. D'ailleurs c'était aussi l'objectif du groupe de travail : ne pas faire une conférence « qui aille dans un seul sens, mais montrer que la question ne va pas de soi » et faire s'exprimer des avis divergents.
Encore attendre « deux ou trois générations » ?
« Je suis issue d'une promotion de 20% de femmes – s'est souvenu Brigitte Sal-Simon, du CHU de Rennes, lors de la conférence – et on nous disait alors qu'il fallait absolument se faire appeler « madame le directeur » parce que « madame la directrice » allait dévaloriser le corps des directeurs. » Si les choses ont changé depuis, l'anecdote en dit long sur la place des femmes à l'hôpital. Pour Marie et ses amies, la question y est clairement « moins consensuelle qu'ailleurs ». Sans doute parce qu'elle a été jusqu'à présent « moins débattue qu'ailleurs » mais aussi en raison des différentes contraintes de ces métiers. « Comme il y a plus de 80% de femmes dans les effectifs, c'est facile de se laisser aveugler – analyse Marie – le secteur se pose ces questions-là un peu plus tard que les autres. » Et comme « l'hôpital est ouvert 24 heures sur 24 et sept jours sur sept » on y parle moins qu'ailleurs de concilier vie professionnelle et vie familiale.
Mais pour elle, pas question pour autant d'attendre que le temps fasse son œuvre d'ici comme le pense Mariannick Le Gueut, professeure au CHU de Rennes, « deux ou trois générations ». « Dans le milieu professionnel quel qu'il soit, mais a fortiori à l'hôpital, il faut être patient » estime-t-elle avant d'ajouter : « mais moi, je n'aime pas qu'on me dise qu'il faut attendre ! Je pense qu'il faut du temps, mais je crois qu'il faut l'aider un peu aussi ! »
« Je suis convaincue qu'on a un rôle à jouer – estime de son côté Estelle – on aura la chance d'avoir des responsabilités et c'est à nous d'avoir une éthique dans les actions qu'on mettra en place. L'hôpital est un employeur et à ce titre, il peut agir sur de nombreux sujets. »
Faire des propositions très attendues
Cette conférence, elles l'ont voulue comme une première étape d'un projet qu'il leur reste à finaliser. Au nom cette fois-ci de leur groupe composé de six filles et d'un garçon, et non plus au nom de toute leur promotion de soixante-dix élèves, c'est à une analyse précise des avis partagés lors de la conférence qu'elles vont devoir s'atteler.
Parce qu'elles sont persuadées d'une chose : en tant que chef-fe-s d'établissements leur rôle peut être – doit être – déterminant dans la lutte contre les inégalités femmes/hommes, pour la deuxième étape du leur travail, il s'agit de faire des propositions. A partir du matériau recueilli lors de la conférence et d'une enquête réalisée par la promotion sur les lieux de stage des un-e-s et des autres, elles estiment avoir « une bonne base de travail » pour creuser certaines pistes avancées, s'emparer d'outils mis en place dans d'autres secteurs d'activité et pourquoi pas en inventer d'autres.
« L'égalité de va pas de soi - rappelait Annaïck Morvan lors de la conférence - et c'est important que l'hôpital où le personnel est majoritairement féminin ne soit pas dans le déni. Mais si on ne met pas en œuvre des actions très volontaristes, les femmes n'arriveront jamais à certains métiers ni à certains postes. C'est une question à partager avec les hommes et avec les employeurs. » Marie lui fait écho en estimant que son groupe est « très attendu sur la deuxième étape » du projet. On attend nous aussi les propositions concrètes.
Geneviève ROY
photos :
N°1 - De gauche à droite, Charlotte Clément, Estelle Lucas et Marie Boyer, trois des élèves de la promotion Hippocrate
N°2 - Les intervenant-e-s de la conférence du 27 octobre - photo EHESP
N°3- Estelle Lucas à la tribune - photo EHESP