Les frontières et les distances ont soudain été balayées.
A Rennes, dans le quartier de Villejean, comme au Niger, dans un quartier pauvre de la banlieue de Niamey, les femmes ont pu dire ce qui leur tient à cœur : la famille, le logement, la violence mais aussi la politique et l’avenir de la planète.
A l’invitation de la Maison de Quartier de Villejean et de la Maison Internationale de Rennes (MIR), elles se sont retrouvées, par écrans interposés pour quelques heures ; en fin d’après-midi, elles notaient surtout tout ce qui les rapproche.
En 2020, la chaîne de télévision Arte lançait une grande enquête intitulée "Il est temps". L’occasion de recenser « les souhaits, les aspirations, les rêves et les craintes » des participant.es qui accepteraient de répondre à un questionnaire. A Rennes, la MIR s’est saisie de ce projet pour relancer son Université Populaire Internationale sur le quartier de Villejean. Et les associations ont adapté l’enquête pour sonder des femmes au Niger (avec l’association MATA) et en Amazonie Colombienne (avec l’association SelvaViva).
Fin mai, des habitantes du quartier, regroupées dans le collectif Kuné, se sont retrouvées pour échanger avec des Nigériennes sous l’œil complice et parfois grâce aux traductions de Fatimata Hamey Warou présidente de l’association MATA. En amont, chacune avait pu répondre au questionnaire et pointer ce qu'elle souhaitait partager. Très tôt, Régine, du collectif rennais faisait un constat ; « on a les mêmes problématiques que vous – disait-elle – on cherche des solutions pour nos quartiers et on n’a très peu de réponses ; on va se trouver plein de points communs !».
« On a déménagé avec nos problèmes ; on vit la même chose ici »
De chaque côté de l’écran, les femmes se sont un peu livrées. A Niamey, elles cultivent des champs pour nourrir leurs familles nombreuses et à Villejean elles se retrouvent dans des jardins partagés. Les unes s’arment de pelles et de pioches à chaque saison des pluies pour faire face aux inondations et les autres déplorent des logements mal isolés rongés par les moisissures et l’invasion de fourmis dans leurs appartements. Toutes suivent de très près la scolarité de leurs enfants.
« J’ai l’impression qu’on a déménagé avec nos problèmes – dit encore Régine, la villejeannaise d’origine centrafricaine – on vit la même chose ici ! » C’est d’ailleurs pour ça qu’est né le collectif Kuné dont le nom signifie "ensemble" en espéranto. Des femmes, en majorité originaires de pays d’Afrique, ont voulu se regrouper pour « s’occuper des affaires du quartier » et « se poser les bonnes questions ». Elles disent l’importance de l’échange et de la parole notamment sur les questions de violence, « encore tabou dans les quartiers » et mettent en avant les conseils qu’elles peuvent se donner les unes aux autres.
« Il n’y a pas de code d’éducation ; chaque maman fait comme elle peut »
Cet après-midi là on a aussi parlé éducation ; les enfants sont au cœur des préoccupations de ces mères qui veulent toujours faire plus pour eux. « Nos enfants sont nés ici, on leur donne une éducation à la française, on discute beaucoup avec eux de ce qui se passe à l’école » explique ainsi Martine, villejeannaise venue de Côte d’Ivoire, qui précise : « il n’y a pas de code d’éducation, chaque famille, chaque maman fait comme elle peut. »
Elles ont évoqué la politique aussi. Au Niger, les femmes accusent les élus de les instrumentaliser durant les campagnes électorales, les traitant comme du « bétail électoral », pour cesser de les écouter une fois élus. En France, les femmes de Kuné estiment que « la politique c’est déjà difficile pour les femmes en général, alors pour celles issues de la diversité c’est deux fois plus compliqué ». Et puis, détaillent-elles, « pour faire de la politique, il faut être sur le terrain et avec les enfants c’est difficile, on a d’autres priorités ».
Pourtant, de la politique, elles en font toutes en s’interrogeant sur l’avenir de la planète. Celles qui ont répondu au questionnaire de la MIR au Niger se déclarent à 80 % militantes ou sympathisantes de la cause écologique et 60 % d’entre elles estiment qu’il faut changer les systèmes politique et économique pour faire face au réchauffement climatique. « Nous sommes, nous les femmes, les premières à souffrir pendant la saison des pluies » témoignent-elles, les principales victimes du réchauffement climatique.
Impressionnées par la force qui semble émaner des femmes de Niamey, Régine se fait encore la voix des femmes d’ici pour leur transmettre une certaine admiration. « Nous avons beaucoup de moyens et du mal à nous en sortir. Vous, vous semblez vous débrouiller avec très peu » leur dit-elle. Et d’espérer que peut-être les solutions pour ici puissent venir de là-bas. L’échange est désormais amorcé et d’autres rencontres devraient avoir lieu entre ces femmes qui souhaitent avancer ensemble pour une société meilleure, par-delà les frontières.
Geneviève ROY
Photos
1 - Régine, Marie-Pierre et Martine, membres du collectif Kuné
2 – Fatimata Hamey Warou, de l'association MATA, fait le lien entre les femmes du Niger et celle de Rennes