En décembre, la région Bretagne a vécu une nouvelle édition de Métiers en Tous Genres destinée à valoriser la mixité professionnelle.
A l'occasion de la clôture de cet événement, la délégation régionale aux droits des femmes avait invité François Fatoux, délégué général de l'ORSE.
Pour lui, il est essentiel que l'égalité professionnelle ne soit pas « une affaire de femmes ». Car si elles ont beaucoup à y gagner, les hommes aussi ; et même toute la société.
Extraits de l'exposé de François Fatoux
« L'Observatoire de la Responsabilité Sociale des Entreprises est un réseau qui associe des entreprises, des organisations syndicales, des associations et dont l'objet est de promouvoir le concept de RSE – responsabilité sociétale des entreprises – en l'ouvrant à l'ensemble des organisations, sans oublier les administrations qui doivent aussi agir dans le sens de la promotion de l'égalité.
Nous avons toute une série de lois, d'acteurs mobilisés, mais nous percevons tous les jours la difficulté à avancer sur ces questions et un indicateur extrêmement simple pour appréhender cette difficulté c'est de voir dans les assemblées qui en discutent le nombre d'hommes présents ! On a souvent l'impression que l'égalité professionnelle est et doit rester une affaire de femmes ! Nous souhaitons justement démontrer l'inverse et montrer tout l'intérêt de porter ces questions d'égalité, problématique commune aux deux sexes.
On pourrait en effet se dire que l'égalité professionnelle, c'est améliorer la situation des femmes, faire en sorte qu'elles puissent mieux progresser dans leurs carrières, qu'elles puissent avoir des postes à responsabilité, qu'elles ne soient plus confrontées à des inégalités salariales et que tout cela va se faire au détriment des hommes !
C'est la raison qui nous a amenés à travailler sur cette question de l'implication des hommes, pour voir s'ils peuvent avoir intérêt à s'engager...
Les normes sociales pèsent lourd sur les inégalités
Nous nous appuyons sur des travaux de chercheurs qui ont identifié cinq normes masculines auxquelles sont soumises les inégalités professionnelles. On parle bien de normes sociales, de normes de comportement et non pas de normes juridiques.
Premièrement : éviter le féminin. Dès lors qu'un homme adoptera une attitude que l'on trouve habituellement chez les femmes, cet homme va être dévalorisé, déconsidéré ; ça peut être dans sa tenue vestimentaire par exemple avec, derrière, toute l'homophobie ; parce que s'il ressemble à une femme c'est qu'il n'est pas un homme et, du coup, est-ce qu'il ne serait pas homosexuel ?
Deuxième norme, et ça nous le voyons de manière excessive dans la politique : être un gagnant. La masculinité se mesure au niveau de rémunération, à ce qu'on appelle les attributs symboliques du pouvoir : les bagarres sur le titre de président, vice-président, etc. ; on oublie finalement pourquoi on exerce un pouvoir mais on est surtout attachés aux attributs : le nombre de fenêtres du bureau, l'épaisseur de la moquette, la cylindrée de la voiture. Ce besoin de se mettre en concurrence nous le trouvons aussi bien dans la sphère professionnelle, la sphère publique comme la politique, mais aussi dans la sphère privée.
Autre norme qui est intéressante pour nous si l'on veut mener des politiques notamment de santé publique, c'est que les hommes s'interdisent d'exprimer des émotions ; c'est la non reconnaissance des fragilités. Il est beaucoup plus « facile » pour une femme d'exprimer une émotion, de pleurer, dans son travail, que pour un homme qui doit pouvoir subir, prendre des coups, encaisser, sans jamais exprimer une souffrance ou une faiblesse.
Dans cette problématique des normes, il y a aussi le modèle de la compétition : prendre des risques, foncer ; et nous verrons aussi les conséquences que cela peut avoir en matière de santé publique.
Et puis, pour finir, cette logique de clan, ce besoin de se retrouver entre soi, d'entretenir le respect et l'admiration des autres, car si l'on n'entretient pas un réseau, si l'on n'est pas de connivence avec les autres hommes, on va être exclus.
Bien évidemment, ce sont des traits qui sont dessinés. Il y a des hommes qui ne s'inscrivent pas dans ces postures mais en tout cas, les normes sociales attendent des individus ce type de comportement. Et c'est aussi vrai pour les femmes ; pour accéder à des postes à responsabilité il faut aussi pour une femme s'inscrire dans ce modèle masculin.
L'égalité passe aussi par la mixité et l'orientation
La société a tout intérêt à remettre en cause ces normes et quand je dis la société, ce sont les entreprises, les administrations et les hommes eux-mêmes ! Mettre en place une politique d'implication des hommes, ça passe aussi, ça passe d'abord, par la reconnaissance des discriminations que subissent les femmes : inégalités salariales et professionnelles mais aussi violences. Or, la question des violences reste encore difficile à mettre en débat dans les organisations, dans les entreprises ; c'est la question du harcèlement sexuel et du sexisme mais c'est aussi la question des violences conjugales.
Nous essayons avec les entreprises de porter cette question ; a priori, les entreprises peuvent considérer que ce n'est pas de leur ressort, elles ne sont pas responsables des violences que subissent les salariées de la part de leurs conjoints mais pour autant, cela va impacter les conditions de travail et certains commencent à initier une réflexion sur le fait de se mobiliser dans le monde de l'entreprise pour s'attaquer aux violences conjugales. Nous avons des expériences de syndicats à l'étranger tout à fait intéressantes.
L'intérêt des politiques d'égalité c'est qu'on va très au-delà de la seule situation des femmes, ça permet d'aborder la question de l'orientation scolaire et des métiers, les questions de santé, les questions de conditions de travail, les violences ; ça permet de réinterroger les process RH et aussi de remettre en débat la question de l'articulation des temps entre travail et vie familiale.
Nous avançons très difficilement sur la mixité des métiers ; beaucoup de choses ont été faites pour que les filles, les femmes, puissent aller sur des métiers traditionnellement masculins ; nous avons encore à construire des politiques pour que les garçons et les hommes aillent sur les métiers dits féminins. Et là, derrière cette problématique des métiers dits féminins, nous avons une problématique de représentation sociale ; il va être très difficile pour un petit garçon de dire à ses camarades qu'il a envie de travailler plus tard en crèche. Là, c'est la question de l'éducation, celle des manuels scolaires, celle des jouets mais c'est aussi la question de la représentation des femmes et des hommes dans la publicité. A titre d'exemple, à chaque fois que des entreprises mettent en scène des pères dans leur vie de famille dans des publicités, ils sont mis en situation d'incompétence et le message de la publicité finalement est celui-ci : les tâches ménagères sont une affaire trop sérieuse pour vous être confiées, laissez-les à votre femme !
Quand nous travaillons sur une mixité des métiers, nous devons travailler aussi sur la question des conditions de travail ; un travail est aussi bien pénible pour un homme que pour une femme donc si nous voulons maintenir dans l'emploi des personnes jusqu'à 65 ans, dans le BTP, dans l'automobile, etc. il faut aborder cette question des conditions de travail et c'est un des sujets les plus mal renseignés dans les accords égalité professionnelle dans les entreprises ; on sent que les partenaires sociaux ont encore du mal à s'approprier cette question de la pénibilité des conditions de travail dans le domaine de l'égalité professionnelle.
Il faut revaloriser les compétences dites féminines
Revaloriser les métiers dits féminins, c'est aussi reconnaître des compétences et du coup y associer un salaire ; donc, c'est aussi retravailler sur la question des classifications pour que finalement dans ces métiers, il y ait une vraie prise en compte de certaines compétences comme la capacité à créer du lien social, de l'écoute, etc. qui étaient autrefois liées uniquement à la sphère domestique.
Sur les questions de santé, une piste tout à fait intéressante nous est ouverte, celle de l'analyse des comportements à risque masculins. Quelques chiffres concernant les taux de mortalité masculine : 72% des accidents mortels sont des accidents masculins, 92% des personnes impliquées dans des accidents de voiture avec taux d'alcoolémie important sont des hommes, 83% des addictions au tabac concernent les hommes, 73% des suicides sont des suicides masculins. Nous n'avons pas de chiffres sur les accidents du travail mais certains disent que les femmes sont peut-être davantage soucieuses des enjeux de santé et de sécurité... Donc, si nous voulons avoir une vraie politique de santé publique, il peut être intéressant d'avoir des politiques ciblées ou en tout cas de s'intéresser aux causes de cette surmortalité masculine.
Il y a aussi une problématique qui est en train d'émerger qui est celle du présentéisme, ce besoin de rester tard pour montrer qu'on est motivé, performant et pour faire plaisir à la direction et aux managers. Différentes organisations, entreprises et administrations ont mis en place des chartes sur l'articulation des temps pour autant il faudra peut-être manier avec prudence ce concept de présentéisme, on ne sait pas si c'est un effet de mode, mais il faut faire attention au fait que beaucoup de salariés notamment de cadres viennent au travail non pas pour faire plaisir à la direction mais parce qu'ils n'ont pas le choix ; on a d'ailleurs des études sur le présentéisme de personnes qui viennent alors qu'elles sont malades et il faudra peut-être aussi s'interroger sur ces différentes formes de présentéisme non pas liées à ce besoin de se mettre en avant mais plutôt au fait que la charge de travail est telle que si on n'arrive pas à 8 heures du matin pour repartir à 20 heures le soir, on ne pourra pas faire la totalité de son travail.
Nous avons mis en avant le fait que des hommes mettaient à profit cette sollicitation des chefs pour arriver un peu plus tard à la maison et ne pas avoir à faire les tâches ménagères, le suivi scolaire, la préparation du repas ; ça peut être aussi un prétexte pour finalement échapper aux contraintes ménagères.
Le présentéisme électronique nuit aux femmes
Sur la question des conditions de travail, il y a aussi toute l'émergence des outils numériques avec la problématique du droit à la déconnexion qui commence à arriver dans les entreprises, à s'autoriser finalement à ne pas répondre aux sollicitations de ses managers ou de ses supérieurs et puis ce que nous appelons maintenant, le présentéisme électronique où dans la compétition qui va s'instaurer entre les salariés - puisque nous avons un accès pour la plupart d'entre nous à notre messagerie professionnelle - et bien si je veux me différencier de mes compétiteurs féminines, comme je n'ai pas de charges de famille et que je n'ai pas à assumer des responsabilités familiales, je vais travailler tout le week-end chez moi pour faire plaisir ou en tout cas, pour montrer que je suis plus performant que ma collègue. Et là, peut se poser la question pour les entreprises de comment éviter ces dérives où finalement nous ne sommes plus en capacité de pouvoir contrôler l'activité des salariés.
L'implication des hommes c'est aussi de s'attaquer aux violences qui s'exercent vis-à-vis des femmes ; ce qui est intéressant dans cette problématique des normes, c'est qu'elles s'exercent aussi vis-à-vis des hommes. La violence masculine est une violence qui pèse sur les hommes eux-mêmes, qui pèse dans les systèmes de management, dans les relations entre les salariés, dans les relations entre les usagers, entre les clients et les usagers et très souvent d'ailleurs ce sont plutôt des femmes qui sont dans des fonctions d'accueil et qui vont subir cette violence des clients ou des usagers et puis c'est aussi dans les lieux de pouvoir.
Il faut chercher à promouvoir de nouvelles valeurs - l'empathie, le respect des autres, le dialogue – et très concrètement par exemple mettre en place des formations sur la gestion des émotions ; des entreprises se sont même posé la question de les rendre obligatoires. Quand vous avez des formations sur ce type de valeurs, malheureusement, ce sont ceux qui en ont le moins besoin qui vont s'inscrire ! Ça peut être aussi en repensant les référentiels de management ; par exemple chez Orange, toutes les personnes promues cadres doivent obligatoirement se former sur la reconnaissance des autres.
Comment mettre en place dans l'entreprise des systèmes sans s'immiscer dans la vie privée des salariés mais en prenant en compte leurs difficultés personnelles ? C'est aussi toute la question de la parentalité... Aujourd'hui, il y a, je ne dirais pas un consensus, mais de plus en plus de personnes qui considèrent qu'il ne peut pas y avoir d'égalité dans la sphère privée ou dans la sphère publique et professionnelle s'il n'y a pas égalité dans la sphère domestique. Nous avons toujours 1h 45 de décalage par jour dans les tâches ménagères entre les hommes et les femmes et comment faire en sorte que les femmes puissent prendre des responsabilités si les hommes eux-mêmes n'assument pas leurs responsabilités parentales et domestiques ?
Les dirigeants comme valeur d'exemple
Sans s'immiscer dans la vie privée des salariés comment conduire des politiques plutôt volontaristes pour faire en sorte que les hommes s'autorisent à avoir ou assument leurs responsabilités parentales ? Ça passe par la promotion du congé de paternité qui n'est que de quinze jours et qui dans bon nombre de cas n'est pas pris par le salarié ; c'est de moins en moins vrai mais il peut être intéressant de regarder au niveau des postes à responsabilité, il y a encore des cadres, des décideurs, qui vous disent qu'ils ne peuvent pas prendre leurs congés de paternité parce que ça n'est pas possible de s'arrêter quinze jours ! Une femme va arriver à prendre quatre mois de congé de maternité, un homme ne peut pas prendre quinze jours !
C'est aussi la question de l'exemplarité de nos dirigeants à tous niveaux ; on ne peut pas promouvoir une politique si au plus haut niveau nous n'avons pas cet exemplarité et un affichage et là nous allons parler de rôle modèle. L'ORSE avait publié un ouvrage qui s'appelait « Patrons Papas » qui donnait la parole à des dirigeants masculins et nous avons pu constater que les cadres avaient besoin dans les entreprises d'un discours, d'une prise de position de leurs dirigeants et si le dirigeant disait : « j'attends de mes salariés qu'ils aient une vie de famille, qu'ils prennent leurs congés de paternité » et bien c'était beaucoup plus facile pour eux de pouvoir exercer leurs droits parentaux. »
François Fatoux, délégué général de l'ORSE
Hôtel de Rennes Métropole – 12 décembre 2014
Propos recueillis par Geneviève ROY