« Le parcours a été long ; il est d'ailleurs inachevé ». Dès le début de ses propos, Catherine Glon, bâtonnière du barreau de Rennes donne le ton. Pour elle, ce que les femmes ont obtenu, elles le doivent surtout à elles-mêmes.
« L'inégalité a été pendant longtemps consubstantielle à la construction sociale – dit-elle encore – c'est l'action associative, structurée ou non, qui suscite les réformes égalitaires ». Et lorsque de nouvelles lois sont votées, il reste à les faire appliquer...
Retour sur sa conférence "Comment l'action des femmes a changé la loi".
Depuis janvier 2023 et pour une durée de deux ans, Catherine Glon est la bâtonnière du barreau de Rennes. Une fonction au féminin qui se justifie pleinement quand on sait que sur les quelque mille avocat.e.s rennais.e.s 61% sont des femmes. Et pourtant, dans la grande galerie de portraits de la Maison des Avocats, elles ne sont pas si nombreuses.
A la fin des années 80, lorsque Catherine Glon a prêté serment, les jeunes femmes étaient nettement minoritaires et fort peu reconnues par leurs confrères. Elle se souvient de ce vieux bâtonnier qui à l'époque lui avait vertement fait remarquer qu'elle portait un pantalon ce qui était pour lui « contraire à la dignité d'une femme » !
Sa place, Catherine Glon a su la gagner comme toutes les Françaises qui au fil de l'histoire se sont battues pour faire reconnaître leurs droits. Ce n'est pas en historienne mais en femme de loi qu'elle déroule ces luttes qui progressivement ont permis aux femmes de conquérir des victoires.
Passer de « la politique de l'égalité à la culture de l'égalité »
« Le droit des femmes s'est construit par strates au fur et à mesure des revendications » explique Catherine Glon, avec la conviction des femmes qu'il leur fallait « revendiquer non seulement l'égalité des droits mais aussi faire admettre qu'il n'existe pas de différences de nature entre la femme et l'homme en tant qu'être social ». Que les femmes et les hommes soient reconnus égaux par la Constitution dès 1946 ne suffit pas. « Le passage de la politique de l'égalité à la culture de l'égalité – dit-elle – reste un combat extrêmement actuel. » Autrement dit, l'outil politique ne suffit pas à faire bouger les mentalités.
Pendant longtemps en France, le non droit pour les femmes était une évidence, « elles étaient exclues de la citoyenneté précisément parce qu'elles étaient des femmes » rappelle la bâtonnière ; et même la Révolution Française n'y a rien changé. Les femmes restaient des « objets sans aucune capacité civile ». Et quand elles ne sont plus brûlées comme des sorcières, on peut toujours les battre, voire les tuer si elles sont adultères, elles sont obéissantes et soumises, souvent réduites à l'état de « ventre ».
Pour Catherine Glon, c'est après la Seconde Guerre Mondiale que les choses commencent à changer, mais précise-t-elle, sans doute parce que les luttes des femmes deviennent à ce moment-là « utiles pour la société ». « La société change, de rurale elle devient urbaine, la démographie explose et le paysage social se métamorphose ; la femme est désormais un outil économique ».
A partir des années 60, les Françaises travaillent, elles vont bientôt pouvoir conserver leur salaire et ouvrir un compte bancaire et même accéder à la contraception puis à l'avortement. Mais depuis les Suffragettes britanniques qui luttaient pour le droit de vote jusqu'aux militantes pour l'avortement, chaque loi a été arrachée par la détermination des femmes. « La loi change toujours à cause de la pression sociale » analyse Catherine Glon.
« Secouer la justice » pour rendre les droits effectifs
Au cours des années 80, les lois se succèdent avec la première loi sur l'égalité professionnelle, la création d'un régime matrimonial plus favorable aux femmes, l'introduction de la notion de viol voire même du viol conjugal puis des quotas et des différentes directives européennes.
« C'est en quelque sorte la base, la collectivité des femmes – et de certains hommes – en dehors des partis politiques - qui a obtenue que les choses changent » rappelle Catherine Glon qui estime que ce sont les réseaux sociaux qui ont pu faire émerger certaines lois récentes. « C'est l'écho de la voix des femmes – dit-elle – qui a obligé à nommer certaines choses et à faire promulguer des lois plus claires notamment sur le harcèlement moral ou sur la définition de l'agression sexuelle.»
De l'imposition des quotas aux postes de direction dans les grandes entreprises au harcèlement de rue et aux lois sur les violences conjugales et intrafamiliales, pour qu'une loi ne soit pas « lettre morte », il faut aussi qu'elle change les mentalités. Si « la loi reste un dogme, elle ne sert à rien ». Ce qui n'est pas simple. Malgré les différentes lois sur l'égalité salariale, par exemple, les écarts de salaire entre les femmes et les hommes restent importants. « La moitié des femmes salariées ne demandent pas d'augmentation ni de promotion » souligne Catherine Glon. Or, la plupart des lois ne sont pas assorties de dispositifs de sanction si elles ne sont pas appliquées.
En tant qu'avocate, elle croit fortement à l'importance des « procès politiques ». Ceux qui affirment l'existence de la loi qu'il faut mettre en pratique. Si on pense que porter plainte n'est pas utile car ne sera pas suivi d'effet, la bâtonnière met en garde : « ce constat d'impuissance qui est inspiré par la peur de s'exposer, de ne pas être entendue ou prise en compte, c'est un renoncement au profit des agresseurs, des abuseurs, de ceux qui violent la loi et imposent leur domination. »
Une conviction qui l'anime depuis longtemps. Si elle a voulu faire du droit pénal dès son arrivée dans la profession, c'est parce que des lois importantes qui reconnaissaient un certain nombre de droits aux femmes venaient d'être votées et qu'il fallait se souvient-elle « secouer la justice pour les rendre effectifs ».
Geneviève ROY
Conférence "Comment l'action des femmes a changé la loi" le vendredi 8 mars à la Maison Internationale de Rennes