Si l'on en croit la sociologue et politologue Hanieh Ziaei, « en Iran, tout bouge et rien ne change ».
Invitée par l'AFIB cette semaine à Rennes pour parler de la crise qui secoue actuellement son pays d'origine, elle a tenu à rappeler que ce mouvement de contestation est loin d'être le premier ; depuis plus de quarante ans, le peuple iranien manifeste régulièrement son désir de liberté.
Particularité pour un pays du Moyen-Orient, dans ces périodes de crise les hommes et les femmes restent uni.e.s dans la lutte. Indivisibles, en quelque sorte.
Dans le cadre des journées du mois de mars de Rennes Métropole, intitulées pour cette édition 2023 « In.di.visibles », l'association franco-iranienne de Bretagne (AFIB) proposait voilà quelques jours un temps de réflexion autour de la sociologue et politologue Hanieh Ziaei. L'occasion de faire le point sur la situation qui depuis l'automne dernier a mis l'Iran à la Une des médias.
Si le slogan « Femme, Vie, Liberté » a donné son identité à ce mouvement de protestation, si c'est bien la mort d'une jeune femme de 22 ans, Mahsa Amini qui fut le point de départ de la colère, il ne faudrait néanmoins pas croire que la cause unique de ce combat concerne le port obligatoire du voile pour toutes les femmes iraniennes. Ni croire non plus qu'elles sont seules face à une répression policière de plus en plus violente. Il y a évidemment, explique Hanieh Ziaei « d'autres enjeux que le code vestimentaire ». Le regain de tensions entre l'Iran et l'Irak ou encore entre l'Iran et le Kurdistan doit aussi être pris en compte alors que la jeune femme assassinée par les forces de police était kurde d'origine.
Mais le peuple iranien a bien d'autres sujets de contestations dans un pays où le chômage est endémique, l'inflation énorme, la corruption présente partout et la paupérisation croissante. Pour la sociologue, c'est le « non respect du contrat social » que les Iraniens reprochent au régime qui 44 ans après son accession au pouvoir accuse un bilan particulièrement lourd.
Révoltes pacifiques, répressions sanglantes
Si sept mois après les premières émeutes la contestation reste forte malgré les risques encourus pour tous.tes les Iranien.ne.s qui osent protester publiquement, malgré les quelque 520 morts déjà recensés (chiffre sans doute en dessous de la réalité) et les nombreuses arrestations, c'est que la peur de la police et de l'autorité religieuse est en train de s'affaiblir estime la conférencière.
C'est en effet au péril de leur vie que les Iranien.ne.s descendent dans la rue. Mais ils et elles le font ensemble, de façon « indivisible » souligne Hanieh Ziaei. L'Iran, explique-t-elle est « un des rares pays du Moyen-Orient où on voit des hommes aux côtés des femmes parce que ces actions collectives portées par des femmes pour des femmes touchent en fait à des revendications plus larges de nature démocratique ».
Vu d'Occident, c'est le voile qui aujourd'hui semble cristalliser la colère, ce voile dont les Iraniennes ne demandent pas la suppression mais simplement d'avoir le choix de le porter ou non. Hanieh Ziaei rappelle toutefois que ce mouvement n'est pas le premier dans un pays où le peuple ne manque pas de créativité pour exprimer ses désaccords. Habitué.e.s aux révoltes pacifiques, faisant face pourtant à des répressions toujours sanglantes, les Iranien.ne.s ont appris à contourner les dangers.
A Téhéran, récemment, les eaux de certaines fontaines de la ville se sont colorées en rouge. Rouge comme la couleur du sang versé. L'artiste anonyme qui a ainsi soutenu le mouvement rejoint tous ceux et celles - artistes, intellectuel.le.s mais aussi vedettes de différentes disciplines sportives - qui profitent de leur notoriété et notamment d'une forte présence sur les réseaux sociaux pour exprimer leur soutien et diffuser les messages des contestataires. La diaspora iranienne dans le monde entier joue également un rôle important pour relayer des informations souvent censurées en Iran.
L'image de l'Iran est en train de changer
« La jeune génération – déclare Hanieh Ziaei – ne veut plus accepter l'inacceptable et fait preuve d'une grande maturité politique ». Elle est aussi la première victime de la répression comme semble l'indiquer cette vague d'empoisonnements qui depuis quelques semaines touchent les écolières, collégiennes et lycéennes. Là encore, difficile d'avoir des chiffres précis, mais on parle nous apprend la politologue de 300 attaques et de plus de 5000 personnes concernées, un acte qui d'après elle montre « une violence totale et directe à l'égard des femmes ».
Après une première phase de déni, l'état consent à annoncer l'ouverture d'une enquête mais questionne-t-elle « comment un pays où le contrôle et la surveillance sont omniprésents ose dire qu'il ne sait pas ce qui se passe dans les établissements scolaires ? » D'autant plus lorsque le gaz chimique utilisé pour ces attaques n'a rien d'un produit anodin que chacun.e peut se procurer facilement.
Pourtant, le régime en place semble encore solide. C'est pour Hanieh Ziaei sa longévité qui fait sa force. Ebranlé à bien des reprises, et notamment en 2009 où ce qu'on a appelé le Mouvement Vert précédait de quelques mois le Printemps Arabe à l’œuvre dans d'autres pays de cette région du monde, il reste fort. « L'état – explique la conférencière – peut parfois bouger mais ne tombe pas ».
Le mouvement actuel aura en tout cas permis de mettre en avant une nouvelle génération, celle qui n'a connu que ce régime, plus déterminée que jamais à faire évoluer l'Iran vers la laïcité et la démocratie. « L'image de l'Iran a changé – défend Hanieh Ziaei – à partir de septembre 2022, le monde entier ne fera plus la confusion entre le peuple iranien et le régime au pouvoir. Il y a clairement deux mondes qui s'affrontent aujourd'hui. »
Geneviève ROY