Si vous confiez une de vos mammographies à Emilie Barbier, vous ne regarderez plus jamais vos seins de la même manière.
Lignes, contours, reliefs... c'est tout un paysage de formes diverses que la photographe voit poindre derrière les radiographies médicales qu'on lui confie.
Et plus que les fractures du coude et autres entorses de cheville, les seins ont semble-t-il le pouvoir fascinant de receler d'autres mondes.
Emilie Barbier a posé ses valises à Rennes. Pour quelques mois ? Ou plus longtemps ? Elle ne sait pas encore. Elle est entre deux villes, entre deux vies. « En flou » confie-t-elle. Jeune femme timide à la voix douce, elle aborde sa future exposition – la troisième pourtant – pleine d'appréhension. Pas facile, dit-elle, de laisser s'échapper ses œuvres, de les livrer aux regards extérieurs.
En quittant Saint-Nazaire, où aura lieu cette exposition à l'automne, elle quitte aussi un projet mené avec une maison de quartier et ses adhérent.es. En arrivant à Rennes (peut-être) elle a d'autres envies en tête, toujours autour du portrait ; début 2023, elle pourrait être en résidence aux Ateliers du Vent. En attendant, elle souhaiterait prolonger son travail précédent initié en Loire-Atlantique intitulé Portraits Radiographiques.
Des images dans lesquelles on peut se perdre
Emilie reconnaît s'intéresser à « la question du corps depuis longtemps ». Sans doute parce qu'elle souffre elle-même d'une maladie chronique et qu'elle a apprivoisé « cette présence douloureuse dans [sa] vie ». Elle dit lire « beaucoup d'auteurs qui parlent du corps, en anthropologie, en philosophie... ». Pourtant, c'est un peu par hasard que son travail sur les radiographies a commencé.
« Un jour – raconte-t-elle - j'ai posé une radio sur une fenêtre et j'ai vu apparaître la ville à travers ». L'idée était là. Emilie se met à observer ces images « autrement que pour ce qu'elles sont » et découvre qu'on « peut s'y perdre très facilement ». Elle imagine alors une série d'autoportraits à partir de ses propres radiographies puis invite d'autres personnes à tenter l'aventure. Avec celles et ceux qui acceptent son défi, une douzaine d'hommes et de femmes, principalement âgé.es, elle entreprend l'observation de « ces images intérieures ».
"On essaie de rentrer dans le regard de l'autre,
un peu comme quand on regarde des nuages"
Aucune contrainte, chacun.e analyse sur une table lumineuse la radio de son choix et décrit ce qu'il ou elle y voit. « C'est une façon de laisser le champ libre à ce que la personne a envie de raconter, son rapport à la maladie - explique l'artiste – ce n'est pas toujours lié à des souvenirs douloureux, mais ça peut l'être. On passe une heure à regarder une image et les gens ne s'imaginent pas qu'ils vont voir autant de choses ». C'est avec beaucoup de pudeur qu'elle écoute et enregistre afin d'utiliser ensuite ces témoignages pour alimenter son travail photographique. « On essaie de rentrer dans le regard de l'autre un peu comme quand on regarde des nuages – dit encore Emilie – mais c'est parfois difficile. Je leur dit ce que, moi, je vois et c'est souvent différent de ce qu'ils racontent. Ce temps d'échange est passionnant ».
De la géographie dans les seins
Radios sous le bras et bandes sonores enregistrées, Emilie rentre chez elle et poursuit ses « pérégrinations photographiques ». Pour son projet en cours, l'objectif était que les photos soient directement liées à l'environnement des personnes participantes. Ses « entretiens en tête », elle arpente le plus souvent le chemin côtier et les plages autour de Saint-Nazaire, la ville aussi parfois, et prend des photos sans intention précise ; « c'est a posteriori – dit-elle – que se fait l'assemblage » ; la jeune femme juxtapose ou superpose photos et radios pour créer une œuvre originale.
On ne parle pas de ses radios du genou comme on parle de ses radios des seins. C'est ce qu'Emilie a découvert lorsque quelques-unes des participantes ont apporté leurs mammographies. « Il y a quelque chose de différent que je ne saurais pas identifier » déclare-t-elle reconnaissant qu'elle a été particulièrement touchée par ces rencontres-là. « Il y a beaucoup de choses qui s'expriment – dit-elle – un certain rapport au féminin. »
Par ailleurs, la photographe est étonnée par la diversité des paysages qui apparaissent dans ces mammographies. Une cheville c'est toujours une cheville ; des seins, il n'y en a pas deux identiques. Même lorsqu'une femme apporte des mammo de ses deux seins, le gauche est différent du droit ! Dans ces images, Emilie voit « quelque chose de géographique ». Comme un prolongement parfait des photos de paysages qu'elle affectionne.
Désormais, elle souhaite donc se lancer dans un nouveau projet uniquement dédié aux femmes et à leurs seins. Après trois ans passés à Saint-Nazaire, Emilie souhaite se « réimplanter » ailleurs ; pourquoi pas à Rennes ? En tout cas, il est important pour elle de continuer à travailler. Conservons précieusement nos mammographies, on pourrait un jour prochain y voir se dessiner tout un paysage...
Geneviève ROY
Pour aller plus loin
l'exposition Portraits Radiographiques du 24 septembre au 9 octobre au Fort de Villès-Martin à Saint-Nazaire
voir le travail d'Emilie Barbier sur son site
photo : Madame H ©Emilie Barbier